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confusion : c’est là sommairement, à l’heure qu’il est, ce qu’il y a de plus sensible. Essayons, s’il se peut, de préciser les faits, de ressaisir le fil de ce laborieux imbroglio, de dégager le sens et la moralité d’une situation plus que jamais obscure et difficile pour tout le monde, — pénible pour le pays, réduit à souffrir de ce qu’il ne comprend pas toujours.

Au premier abord, rien n’est assurément plus étrange que le drame ministériel et parlementaire qui s’est déroulé pendant trois mois, qui a commencé par les illusions, par la confiance, pour aboutir si promptement aux déceptions et à la guerre. Lorsque M. Gambetta était appelé à prendre le gouvernement au 14 novembre, il n’est point douteux qu’il arrivait aux affaires dans des conditions exceptionnelles de popularité et d’ascendant. La situation, telle que le dernier cabinet l’avait faite avec son expédition de Tunisie, avec ses procédés militaires, administratifs et financiers, n’était pas sans doute des plus brillantes ; elle avait du moins l’avantage d’offrir à un premier ministre nouveau-venu l’occasion facile de réparer les erreurs et les méprises d’une politique médiocrement conduite. M. Gambetta avait l’heureux privilège de paraître l’homme naturellement désigné pour en finir avec les embarras créés et légués par un ministère qui ne pouvait plus vivre, qui succombait moins sous un vote du parlement que sous le poids de sa propre impuissance. Il semblait porté au pouvoir par le mouvement irrésistible des choses, par les élections qui venaient de s’accomplir en partie sous son influence, par les impatiences de l’opinion qui se lassait de le voir exercer une prépotence mal définie en dehors du gouvernement, par le vœu de ses amis et même de ses adversaires qui l’attendaient à l’œuvre. Tout conspirait pour M. Gambetta la veille de son avènement aux affaires ; le lendemain, tout a conspiré contre lui. Dès qu’il a été au gouvernement, il a commencé à voir son autorité mise en doute, ses actes et ses projets contestés, ses choix tournés en dérision, il s’est exposé à n’être pas pris au sérieux ; il a découragé la confiance, enhardi les hostilités. Deux mois ont suffi pour épuiser son crédit, et il a bien pu s’apercevoir que tout était déjà changé autour de lui lorsque, le 14 janvier dernier, après quelques jours de congé parlementaire, il a cru le moment venu de porter à la chambre des députés ce projet de revision qu’il considérait comme sa première œuvre politique, qu’il avait inscrit en tête de son programme ministériel à son entrée aux affaires.

Par lui-même, à vrai dire, ce projet, quoique sérieusement médité, était une assez singulière conception. Il avait la prétention de s’en tenir à une « revision sagement limitée, » et en définitive il ouvrait la porte aux aventures constitutionnelles les plus illimitées. Sous prétexte de tout régler, de tout consolider pour l’avenir, il commençait partout ébranler. Par une contradiction étrange, il modifiait d’un côté les con-