je veux noter, en terminant cette chronique, l’impression qu’a faite, ces jours derniers, à la Comédie-Française une reprise du Demi-Monde, cette fameuse pièce où l’on voit une courtisane, tout à fait déshonnête celle-là, repoussée justement du rang où Babette parvient.
Mlle Tholer jouait pour la première fois le rôle de la baronne d’Ange; Mlle Durand, celui de Marcelle, et Mlle Kalb, celui de Mme de Santis. Mlle Tholer est agréable, intelligente et bien disante ; elle a profité, elle profite peut-être encore d’une façon trop manifeste des leçons de Mme Arnould-Plessy. Elle n’a pas la liberté de talent, la décision, l’accent qu’exige ce terrible rôle. Mlle Durand est jeunette; elle sort du Conservatoire, elle pourrait presque y rentrer : elle a plu, au demeurant, par une ingénuité plus franche que celle de son personnage. Mlle Kalb est hardie, et même un peu vulgaire : elle joue le rôle en soubrette plutôt qu’en femme du monde; il est vrai que, lorsqu’on l’essaiera dans l’emploi des soubrettes, on trouvera sans doute qu’elle y manque de force et d’ampleur. Mais qui donc se prépare à la Comédie-Française pour tenir cet emploi, depuis la retraite imprévue de Mlle Dinah Félix? Mme Samary ne s’y est hasardée que par une sorte d’abus, et Mlle Bianca ne s’y risque pas sans péril. Nous voyons dans la troupe une brèche à réparer : nous nous remettons de ce soin à la sollicitude de M. l’administrateur-général.
Des critiques ont blâmé cet usage récent de faire débuter trois comédiens à la fois dans une même pièce. Ils préféreraient voir les conscrits plus solidement encadrés par les vétérans. Il m’a paru que cette tactique avait au moins cet avantage qu’elle permet de juger à nouveau la pièce et d’une façon plus sûre. Ainsi, quoique le Demi-Monde reste encore et qu’apparemment il doive rester toujours un ouvrage des mieux faits et comme un document curieux sur un point de l’histoire des mœurs, il m’a semblé que cette fois, le mouvement de cette comédie s’étant un peu ralenti, j’apercevais mieux ce qu’elle a de froidement artificiel et de cruellement historique. Ce ne sont pas, à proprement parler, des créatures humaines qui s’agitent devant nous dans ce cadre, des créatures en relation avec la réalité environnante, mais les facteurs habilement maniés d’une opération qui sert, de par la volonté de l’auteur, à la solution d’un problème arbitrairement formulé, ou plutôt les élémens suspendus et isolés dans le vide d’une combinaison qu’il fait pour une expérience qu’il institue. Et ce problème ne pouvait se poser, cette expérience ne pouvait se tenter qu’en un moment précis de l’histoire sociale, et combien ce moment est déjà éloigné de nous!
Il paraît clairement que le Demi-Monde est daté d’une époque où la femme galante, chez nous, était si bien hors la loi, hors l’honneur et l’humanité, que la loi, l’honneur et l’humanité non-seulement ne l’obligeaient pas, mais n’obligeaient à rien les autres envers elle, et que