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Un tel rôle ne peut que chatouiller son orgueil et accroître son irrésistible ascendant. « Qu’ils sont beaux sur la montagne, est-il écrit dans l’évangile, les pieds de celui qui apporte la paix! » Depuis la guerre d’Orient, où, pour la première fois, il remplit les fonctions d’un honnête courtier, M. de Bismarck a modifié sa politique, qui semblait vouloir se renfermer dans le soin exclusif et jaloux des intérêts allemands. Il a déclaré autrefois qu’aucune cause étrangère ne valait le sacrifice « des os d’un fusilier poméranien, » et il est toujours de cet avis. Mais quand il n’en coûte ni une vie d’homme, ni un os de fusilier, ni la moitié d’un mark, c’est tout profit que d’arranger les affaires des autres. A Constantinople, comme à Vienne et à Rome, le chancelier se plaît à donner partout des conseils, à se faire appointeur de débats et de procès; il attire, il évoque à lui les arbitrages, il accommode les parties en litige. Cet homme redoutable et d’humeur altière, accoutumé aux voies courtes, s’exerce aux ouvrages de longue patience; ce violent, qui, à ses débuts, ne croyait qu’au fer et au feu, a désormais la persuasion sur les lèvres, et il est en train de devenir le grand juge de paix de l’Europe. En ce qui concerne l’Italie, s’il parvenait d’établir un modus vivendi tolérable et raisonnable entre le roi et le pape, il se serait fait deux obligés, et en prononçant sur une cause qui nous semblait, il y a quelques années encore, re-sortir à notre tribunal, il aurait travaillé une fois de plus à l’isolement de la France.

En conclurons-nous que nous devons chercher notre point d’appui dans les radicaux italiens? Ils nous ont montré naguère, ils nous montrent tous les jours quel cas ils font de notre alliance et le souci qu’ils ont de notre amitié. Il y a entre eux et nous une différence qui est toute à leur avantage : tel radical français est plus radical que Français, tout radical italien sera toujours plus Italien que radical. Nous avons trop à faire chez nous pour nous occuper beaucoup du bonheur des autres; nous serons juges de paix quand nous en aurons le loisir. En attendant, notre intérêt est de ne rompre avec personne, de ménager tout le monde, de vivre en d’aussi bons termes qu’il nous est possible avec le saint-siège comme avec le Quirinal. Plus nous serons modérés, plus nous serons forts. Que le ciel nous tienne en garde contre l’humeur brouillonne de certains sectaires, dont les entreprises compromettraient également notre paix intérieure et notre influence au dehors ! C’est par la considération que nous arriverons à recouvrer l’influence, et la considération nous sera rendue libéralement le jour où il sera prouvé que la France sait encore faire de la politique, que dans les conseils de son gouvernement, l’intelligence de ses vrais intérêts prévaut sur les passions et les préjugés de parti, l’esprit de conduite sur l’esprit de secte.


G. VALBERT.