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assuré que, le cas échéant, on pourrait recourir à ses conseils et se fier à sa bienveillance. Les sceptiques qui prétendent que les préparatifs de départ qui se font au Vatican sont une pure comédie accusent M. de Bismarck d’en jouer une autre en assurant le Saint-Père de l’intérêt qu’il lui porte. Son intention, disent-ils, est de le prendre à l’amorce, de l’amuser par dévalues paroles, à la seule fin de lui extorquer des conditions plus douces que celles qu’il obtiendrait en négociant directement avec M. Windthorst, et s’il fait miroiter à ses yeux l’espoir d’un dédommagement sur le Tibre, c’est pour l’engager à s’en remettre à son pouvoir discrétionnaire du soin de régler la question des lois de mai. Assurément, ce grand tentateur, en traitant avec le saint-siège, a surtout en vue son avantage particulier, les intérêts de sa politique intérieure, et il serait charmé que le vicaire du Christ intimât aux catholiques l’ordre de voter le monopole du tabac ; mais il est permis de penser qu’il obéit encore à d’autres considérations, sinon plus généreuses, du moins plus générales.

L’Italie joue sur son échiquier un rôle de première importance ; c’est une pièce maîtresse dont il peut avoir à se servir quelque jour, et il ne faut pas s’étonner qu’il s’intéresse à son sort. Aucun prélat romain, aucun porporato du Vatican ne s’afflige aussi sincèrement que lui de voir la maison de Savoie aux prises avec « la révolution latente » et en danger de devenir sa proie. Il lui paraît que son divorce avec la papauté est pour elle une cause de faiblesse et de sujétion aux partis avancés; il a bien su reconnaître que ceux qui attentent à l’autorité du souverain pontife sont disposés à faire bon marché de l’autorité du roi, et il en conclut qu’il importe de protéger l’une en la réconciliant avec l’autre. On se souvient du discours qu’il prononçait au Reichstag, il y a quelques semaines, et de l’avertissement inattendu qu’il s’est permis d’envoyer de Berlin au nouveau roi d’Italie. Il lui remontrait que le libéralisme conduit fatalement au radicalisme, que les ministères de gauche mènent à la république. Aussi n’a-t-il pas été fâché de donner des inquiétudes et des dégoûts, de causer des déconvenues aux libéraux qui gouvernent aujourd’hui la péninsule. En vain ont-ils essayé de lier partie avec lui, leurs ouvertures ont été froidement reçues. M. de Bismarck fait acception des personnes; si libre de préjugés qu’il soit sur les questions de principes, il ne traite pas avec tout le monde. Son rêve est de voir l’axe politique se déplacer et le cabinet que dirige M. Depretis remplacé par un ministère de droite, qui serait l’instrument docile de ses desseins et donnerait en même temps une assiette plus solide à la royauté par un rapprochement avec le saint-siège. Il ne cherche pas à brouiller les cartes en s’ingérant dans les affaires du jeune royaume. Si le ciel lui vient en aide, il y prendra des mesures conservatoires pour l’église et pour la monarchie, et son intérêt nous répond de sa bonne foi.