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Dans les discours que M. Bonghi prononça récemment à Naples, l’ex-ministre de l’instruction publique se montrait moins optimiste que dans son article de l’Antologia. Il disait alors : «Tout le monde voit que la ligne suivie par le gouvernement nous conduit à des crises violentes, et pour comble de malheur on ne découvre pas le remède. » C’est dans la prévision de ces crises violentes que Léon XIII se tient prêt à partir.

Si jamais il se met en route, il fera la joie des radicaux, qui croient facilement ce qu’ils désirent et qui s’imaginent que son départ donnera le signal d’un schisme et de la rupture définitive de l’Italie avec le saint-siège. Heureux aussi seront les zelanti du Vatican, ceux qu’on nomme le parti des impatiens, et dont le principe est que l’excès du mal engendre le bien! Les mystiques ne se réjouiront pas moins; les yeux attachés au ciel, ils s’attendront de jour en jour à quelque intervention miraculeuse ; ils croiront voir chaque matin l’ange exterminateur tirant son épée du fourreau pour détruire les enfans de ténèbres et leurs idoles. En revanche, cette grave résolution attristerait beaucoup de cardinaux sédentaires et casaniers, qui sentent la terre leur manquer sous les pieds dès qu’ils ne foulent plus leur cher pavé de Rome. Elle affligerait beaucoup de prélats modérés et réfléchis, qui savent que Dieu est avare de ses miracles, que d’habitude il abandonne le gouvernement de l’univers à l’action des causes secondes. Elle inquiéterait aussi les libéraux, dont la sagesse redoute les voies extrêmes et leur préfère les moyens doux. Nous pensons, pour notre part, qu’elle serait également préjudiciable soit à la papauté, soit à la monarchie italienne, et nous ne craignons pas de nous tromper en nous rangeant à l’avis d’un homme aussi éclairé, aussi perspicace que M. Bonghi.

Les Italiens sont trop fins, ils connaissent trop le pape Léon XIII pour ne pas être certains que, dans ses combinaisons politiques, il compte beaucoup plus avec les causes secondes, avec les puissances de la terre qu’avec l’épée flamboyante des anges et des archanges. Ils se seraient moins émus de le voir rouvrir la question romaine, qu’ils se flattaient d’avoir à jamais résolue par la loi des garanties, et de l’entendre déclarer intolérable une situation qu’il avait longtemps tolérée, s’ils n’avaient eu sujet de penser que la vivacité soudaine de ses protestations s’expliquait par des encouragemens reçus du dehors, qu’il n’était pas seul avec sa conscience, qu’il y avait quelqu’un derrière lui. En même temps que paraissaient les brochures vaticanes, un journal qui passe pour recevoir les confidences du chancelier de l’empire allemand affirmait dans une série d’articles à sensation que le Saint-Père avait de bonnes raisons de se plaindre, qu’un pape n’est vraiment libre qu’à la condition d’être souverain, que le pouvoir temporel est nécessaire à l’exercice du pouvoir spirituel. Il n’en fallut pas davantage pour que le bruit se répandît que M. de Bismarck venait de conclure avec le souverain-pontife un de ces marchés dont il est coutumier,