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service à lui-même en la quittant à jamais. Ils ajoutent qu’au surplus, les Romains, surchargés d’impôts, le verraient partir sans trop de regret, et ils insinuent à demi-voix que si on daignait autoriser Léon XIII à interroger à son tour le suffrage universel, il prouverait qu’il s’entend, lui aussi, à jouer de ce bel instrument. Il n’est que de savoir s’y prendre, et ce qu’un plébiscite a fait, un autre plébiscite peut le défaire.

Nous ne savons quelle impression peut produire ce langage sur le roi d’Italie. Nous ne sommes pas bien sûr que le Quirinal soit l’endroit du monde qui lui plaise le plus, que s’il était libre de consulter ses goûts, telle autre ville ne lui offrît pas un séjour plus à sa convenance. Il est permis de douter que, Victor-Emmanuel soit allé à Rome de son plein gré, sans scrupules comme sans répugnances, mais enfin il y est allé et son fils y reste. On prétend, dans les couloirs ou dans les corridors du Vatican, qu’au commencement de 1867 le cabinet italien, qu’inquiétaient les projets du parti d’action et qui désirait s’affranchir de sa pesante et compromettante tutelle, fit offrir secrètement au pape Pie IX de lui laisser le patrimoine de Saint-Pierre, de déclarer Florence capitale définitive du royaume et de soumettre cet arrangement à la sanction des puissances européennes. La curie romaine déclina cette proposition, M. Rattazzi devint président du conseil, et les destinées s’accomplirent. Ce qui était exécutable en 1867 ne l’est plus en 1882; certains reculs sont impossibles. Jadis Pie IX disait mélancoliquement: « On m’avait donné plus d’une fois l’assurance qu’on ne coucherait jamais dans le lit du pape et on y couche. » Tant il est vrai que les événemens sont plus forts que la volonté des hommes. M. Bonghi nous racontait lui-même en 1871 qu’ayant obtenu une audience du cardinal Antonelli peu de mois après l’envahissement des Marches et de l’Ombrie par l’armée piémontaise, il s’était permis de saisir hardiment le taureau par les cornes, en lui disant ; « Eh bien! Éminence, comment allons-nous sortir de là? Come se n’esce? » A quoi le cardinal avait répondu : « Ce n’est pas nous qui sommes entrés, ce n’est pas à nous de chercher une sortie. » Après l’Ombrie et les Marches, on a pris Rome; on y est entré facilement, il est bien difficile d’en sortir.

A supposer que le roi Humbert voulût restituer au saint-siège les sept collines et leur banlieue, trouverait-il dans aucun parti, sur un banc quelconque de la gauche ou de la droite italienne,, un ministre qui consentît à contre-signer son projet de loi, un ministre qui se chargeât de proposer aux chambres un accord fondé sur un abandon ? Et d’ailleurs ne sait-il pas lui-même que ce n’est pas au pape qu’il ferait restitution, mais aux sectes et à la république? N’aurait-il pas sujet de craindre qu’à l’heure même où il sortirait du Quirinal, la révolution n’y entrât par une autre porte? Quand on lui a donné des arrhes,