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leurs arrangemens. Personne ne protesta, hormis le principal intéressé.

Tant que le pape Pie IX a vécu, les Italiens ont fait preuve de beaucoup de patience. Ils ne s’émouvaient que médiocrement de ses récriminations et de ses plaintes; ils pliaient la tête sous ses anathèmes tout en secouant leurs oreilles. Ils trouvaient naturel que le spolié gardât rancune au spoliateur, qu’il s’indignât de la violence qui lui était faite, qu’il eût quelque peine à se résigner à son sort. Ils constataient avec plaisir qu’à ses éclats de colère succédaient par instans des retours soudains de belle humeur; ils estimaient que ses bons mots réparaient ses emportemens, qu’ils traitaient d’incartades. Ils se souvenaient au surplus que jadis il avait béni l’épée qui devait affranchir l’Italie; le patriote avait légué sa popularité au pontife. Aussi étaient-ils résolus à ne se formaliser de rien, à prendre leurs ennuis en douceur; ils se disaient qu’il faut passer beaucoup de choses aux hommes de sentiment, aux inspirés, et qu’un bon cœur fait pardonner beaucoup d’étourderies.

Ils se disaient aussi pour s’aider à patienter : « Après tout, ce n’est qu’une affaire de temps. Le pape Pie IX ne vivra pas toujours, et son successeur, qui sera peut-être un sage, ne se croira pas comme lui engagé d’honneur à protester contre les faits accomplis. Ayant l’humeur rassise, l’esprit politique, il acceptera l’héritage dans les conditions où il l’aura reçu, il donnera les mains à un accord. Il est permis d’espérer que ce sage réservera ses foudres et ses anathèmes pour ceux qui envahissent la vigne du Seigneur, pour ceux qui usurpent les droits de l’église en France, en Allemagne, ou en Russie; mais sans doute il transigera avec nous, qui sommes de bons catholiques; il comprendra qu’il faut s’accommoder au siècle. Quand on porte la tiare et qu’on a l’esprit bien fait, on regarde en pitié les royaumes de la terre, on laisse aux profanes les plaisirs et le goût de la propriété, on se console aisément d’avoir perdu un méchant domaine, qui n’était en définitive qu’un jardin de curé, et on se persuade sans peine que de bonnes garanties suffisent au bonheur d’un pape. »

Les Italiens ne s’étaient pas trompés : le successeur de Pie IX est un sage, il a l’humeur rassise et l’esprit politique, ce qui ne les a pas empêchés d’être cruellement déçus dans leur attente. Modéré dans ses actes comme dans son langage, toujours de sang-froid, maître de ses ressentimens et de ses émotions, les déplaisirs que lui a causés le gouvernement français n’ont pas eu raison de sa mansuétude, et on l’a vu entrer en négociations avec l’homme terrible que Pie IX avait appelé l’Attila de Berlin. Bref il s’est montré disposé à transiger sur tout, sauf sur le pouvoir temporel, à s’accorder avec tout le monde, hormis avec les Italiens. Un de leurs hommes d’état les plus clairvoyans et les