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au chef de l’état, arrache son consentement à des mesures qu’il réprouve, et fait prévaloir, sous prétexte d’intérêt général, des décisions que le public appelle tyranniques.

Mme la duchesse de Berry vous dira qu’il est affreux à un oncle de laisser arrêter sa nièce, de la retenir en prison, de permettre qu’on publie des faits qui la flétrissent dans l’opinion, en un mot que j’aurais dû, par respect pour le lien de famille, la soustraire à l’action des autorités nantaises.

Répondez-lui, monsieur, et ce sera la vérité, que le roi a complètement ignoré l’infamie de Deutz, que l’arrestation de Nantes, qui en était la conséquence, n’a été soumise au cabinet que quand elle a été consommée, et qu’alors le conseil des ministres a décidé à l’unanimité qu’il fallait laisser son cours à la justice. J’ai eu la main forcée, j’ai dû céder à des résolutions mûrement arrêtées, il a fallu résister aux prières de la reine, faire taire la voix du sang, l’intérêt de la parenté, et tout cela parce qu’un ministre l’a voulu.

Aucune considération personnelle n’a pu entrer en balance avec cette impérieuse nécessité de ruiner un grand parti politique, de rendre la duchesse de Berry désormais impossible, et j’ai dû laisser faire ce que je ne pouvais empêcher. Dites-lui bien que la reine a prié, supplié, que la tante s’est montrée une véritable mère dans cette triste circonstance. Si le malheur n’a pas enlevé à ma nièce tout sentiment de justice, si elle ne veut pas méconnaître complètement le caractère de la reine, elle devra comprendre tout ce qu’il y a de douloureux pour son cœur maternel dans cette triste circonstance.

La vérité m’oblige à noter ici que le roi, en prononçant ces dernières phrases, m’a paru très ému. Sa voix altérée indiquait la profondeur du sentiment qui l’agitait ; je me suis senti vivement impressionné par cette révélation intime des douleurs de cette royale famille.


Être heureux comme un roi ! dit le peuple hébété…


il y a longtemps que je ne suis plus peuple, du moins sous ce rapport, et je n’ai pas oublié ce qu’a dit M. de Chateaubriand sur toutes les larmes que contiennent les yeux des puissans de la terre.

Mon émotion ne m’a pas empêché de remarquer la merveilleuse facilité de débit de sa majesté ; sa parole est à la fois simple et ferme, nette et distinguée. Le mot propre ne se fait jamais attendre, et peu d’hommes s’expriment aussi bien. Le roi a continué en ces termes :

— Si Mme la duchesse de Berry m’accusait personnellement de