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ministre de l’intérieur. La conférence a été longue et vive. M. d’Argout a passé en revue la plupart de mes rapports, qu’il tenait en main; il les a analysés et comparés à ceux du général Bugeaud, et il a conclu en disant qu’il y avait une notable différence entre: eux. Il m’a prié de donner à ces messieurs, ainsi qu’à lui-même, les renseignemens les plus précis sur l’état de la poitrine de Mme la duchesse de Berry. Il a terminé en exprimant le désir que cette réunion eût pour résultat une explication catégorique sur ce point important.

J’ai dit au ministre que les symptômes de la phtisie n’étaient pas évidens, mais que, dans les circonstances présentes, on pouvait concevoir des craintes, lesquelles étaient suffisamment appuyées sur les antécédens de la princesse. Il ne faut pas oublier que la mère de Mme la duchesse de Berry est morte tuberculeuse, que la princesse elle-même a éprouvé souvent des affections catarrhales de la poitrine, et que les fatigues auxquelles elle a été exposée l’an dernier dans la Vendée ont dû altérer sa constitution débile. J’ai ajouté que ma mission auprès de son altesse royale m’imposait rigoureusement le devoir d’étudier et de décrire tous les signes annonçant une maladie dont les conséquences pouvaient être si graves et que je comprenais parfaitement l’immense responsabilité qui pesait sur moi. Si l’on me taxe d’exagération dans cette circonstance, j’ose dire qu’elle est toute naturelle dans ma position. Je sais la fâcheuse influence qu’exercent en pareil cas les passions tristes, la captivité, le défaut d’exercice, l’insomnie; je sais ce que peut le désespoir; par conséquent, je n’ai pas dû balancer à avertir le gouvernement du danger qui menaçait la princesse.

M. d’Argout, revenant avec opiniâtreté sur l’absence de signes de la maladie de poitrine et sur l’invraisemblance des suites déplorables que je fais pressentir, s’appuie sur les premiers rapports de MM. Orfila et P. Auvity pour combattre mon opinion, ou plutôt, dit-il, ma supposition.

Cette attaque m’a piqué un peu, je l’avoue, et voulant faire sentir à M. le ministre que je ne lui reconnais pas le droit d’avoir une opinion, ni même de faire une supposition en pareille matière, je me tourne du côté de MM. Orfila et P. Auvity, et je m’exprime en ces termes, que je retrouve mot à mot :

— Considérez, mes chers maîtres, qu’aujourd’hui la grossesse de son altesse royale est authentique, que j’ai entendu clairement les battemens du cœur de son enfant, que, par conséquent, nous avons à redouter des couches et leurs suites inévitables ; considérez que c’est précisément dans ces conditions que les maladies tuberculeuses se développent avec le plus de rapidité et acquièrent plus promptement un caractère grave chez les personnes prédisposées,