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sommets sont enlevés par surprise, mais il a fallu sacrifier une partie des bagages et rendre la liberté aux prisonniers. On s’avance ainsi de vallon en vallon, fouillant tous les villages pour y trouver des vivres. A la nuit close, les Carduques se rassemblent et tombent sur les traînards: la nuit se passe dans de perpétuelles alertes. Le lendemain survient un violent orage; toujours en quête des provisions qui leur font défaut, les Grecs n’en continuent pas moins leur route. Serrés de près, harcelés par une grêle de pierres et de flèches, ils doivent à chaque instant se retourner pour repousser l’ennemi et pour le tenir à distance. Tout à coup un rocher à pic, une butte infranchissable se dresse en travers du sentier. N’est-il donc pas possible de tourner cet obstacle? Un guide se présente; il connaît un chemin, une route praticable même pour les bêtes de somme ; il n’oserait proposer d’y engager l’armée avant que le sommet du morne soit fortement occupé par un détachement. A la voix des stratèges, deux mille volontaires sortent des rangs ; le guide se place en tête et la colonne part. Pendant ce temps, l’arrière-garde fera mine de vouloir forcer de front le passage. Cette démonstration se prononce à peine que les barbares groupés sur les sommets font rouler de tous côtés avec un épouvantable fracas « des pierres grosses à remplir un chariot. « Il faut reculer et demeurer campé à l’entrée du ravin. Le mouvement des volontaires cependant s’effectue; une pluie battante l’a dissimulé à la surveillance des Carduques. Les postes ennemis sont égorgés avant que les soldats assis autour de leurs feux aient pu songer seulement à se mettre en défense. Le jour paraît. Le brouillard a succédé à la pluie ; le détachement pourra se glisser encore inaperçu. Fiers d’un premier succès, ne soupçonnant pas que leurs postes avancés ont été mas- sacrés pendant la nuit, les barbares à cette heure reposent sans défiance; la trompette soudain retentit et d’un bord à l’autre du ravin les cris de guerre des Grecs se répondent. Les Carduques, pris à dos, n’essaient pas même de résister à cette double attaque; dès les premiers coups ils se hâtent de céder le terrain, se dispersent et s’enfuient par tous les sentiers avec une agilité surprenante. Gênés par le poids de leurs armes, les soldats de Chirisophe ne sauraient songer à les poursuivre; ce n’est même pas sans peine que les hoplites réussissent à couronner la hauteur. Les plus lestes ont été obligés de se servir de leurs piques pour tirer à eux, sur la pente raide et glissante, les compagnons qui restaient en chemin.

J’ai tenu à montrer comment les anciens s’y prenaient pour tourner une position et pour franchir à l’aide d’une diversion habile un mauvais pas. On se ferait cependant une idée incomplète des difficultés qu’ont eues à surmonter les Dix-Mille, si l’on n’en jugeait que par cet épisode. L’ennemi est insaisissable; ses flèches