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une fiction qui n’offre rien en soi d’invraisemblable jusqu’aux rives de l’Indus, appartenaient encore au puissant héritier des Achéménides. Un pareil partage ne résolvait rien ; Alexandre n’était pas homme à s’en contenter. Ce que Soliman, dans sa gloire, n’a jamais conçu la pensée d’accomplir, ce que les Anglais, dans leur opulente splendeur, se garderaient bien de rêver, le vainqueur d’Issus, sans hésiter un instant, voulut l’entreprendre. Pour confondre de nouveau sous le même sceptre ces deux dominations que sépare, comme une frontière naturelle, le cours de l’Euphrate, il se prépara, — qu’on me permette de faire abstraction d’une géographie aujourd’hui disparue, — à passer de la côte de Syrie à Mossoul, de Mossoul à Bagdad, de Bagdad à Chiraz, de Chiraz à Téhéran, à Merv, à Hérat, à Ferrah, à Kandahar, à Ghizni, à Caboul, à Balkh, à Samarkand, à Khojend, à Peshaver, à Lahore. Nous le verrons toucher enfin aux bords de l’Océan-Indien et venir aboutir, par l’affreux désert du Mekran, aux vallées fécondes qui recueilleront, après tant de fatigues, les débris de ses troupes. Sa flotte, pendant ce temps, suivra la côte orientale du Golfe-Persique et devancera les Portugais à Ormuz, les Arabes à Bouchir, les Anglais à Bassorah. La Bactriane, l’Arie, la Drangiane, l’Arachosie, la Gédrosie, la Caramanie, la Sogdiane, ne me disaient rien ; transporté par d’autres appellations dans le monde moderne, je me reconnais ; je frôle à chaque pas des questions vivantes, et je suis tenté de m’écrier avec les députés de Darius : « On vieillirait à parcourir, fût-ce même sans combat, pareille étendue de pays ! Senescendum fore tantum terrarum vel sine prœlio obeunti. »

Mettons un peu d’ordre dans nos souvenirs. Nous venons d’atteindre les champs d’Arbèles, en contournant le désert de Palmyre et en allant chercher les gués de l’Euphrate et du Tigre[1]. Darius de nouveau vaincu, nous allons refaire en sens opposé la route des Dix-Mille pour venir prendre possession de Babylone. De Babylone, nous passerons jusqu’à Suse, et de Suse, nous gagnerons à travers les montagnes la grande enceinte fortifiée de Persépolis. Cette seconde campagne nous aura conduits au centre du Farsistan, nous pourrions presque dire à Chiraz ; les bords du Golfe-Persique ne sont déjà plus très éloignés. Remontons maintenant vers le nord, poursuivons Darius en Médie, dépassons Ecbatane, atteignons le roi fugitif à Rhagès, non loin des lieux où s’élèvera un jour Téhéran ; nous sommes enfin sur la route de l’Inde. Que nous suivions Alexandre, Nadir-Shah ou notre compatriote l’adjudant-général Ferrier, l’itinéraire restera toujours à peu près le même; le plus

  1. Voyez dans la Revue des 1er septembre, 15 octobre, 15 novembre 1880 et 1er février 1881; le Drame Macédonien.