Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 49.djvu/622

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de tissage de Lille? Voilà des innovations sans motif, voilà où commence le bouleversement. L’art n’est pour rien dans un métier à tisser, attendu que celui qui l’a fait ne s’est nullement inquiété de sa forme plastique. Où il n’y a pas souci de la forme, il n’y a pas art.

A la réserve de l’attribution des arts et métiers au ministère des arts, l’esprit du décret du lu novembre mérite l’approbation générale. Réunir sous la même autorité les divers services des beaux-arts, jusqu’ici disséminés, en unifier et en simplifier l’administration, la faire agir d’après une vue d’ensemble, donner ainsi à tous ses actes la précision et l’harmonie, il n’y a là qu’à louer. Toutefois le décret gagnerait peut-être à la suppression de cette phrase : « Il est créé un ministère des arts. »

Nous nous expliquons. Approuver pleinement la réunion sous un même chef de tous les services regardant les beaux-arts n’implique point que l’on regarde comme une nécessité l’existence d’un ministère des arts. Que le décret eût porté «direction » au lieu de « ministère,» et nous pensons que les intérêts de l’art et les intérêts de l’état n’en eussent été que mieux sauvegardés. Voici pourquoi. D’une part, un ministère entraîne de très grosses dépenses qu’on évite avec une simple direction. On doit loger le ministre, et le loger bien. Il faut au ministre un secrétaire-général, un secrétaire particulier, un chef de cabinet, un sous-chef de cabinet et quelques attachés au cabinet qu’on pourvoira de places au départ du ministre. Souvent même on adjoint au ministre un sous-secrétaire d’état qui a, lui aussi, un chef et un sous-chef de cabinet. Avec un ministre, les divisions deviennent des directions et les bureaux des divisions. Les chefs, les sous-chefs et les employés croissent à proportion. C’est miracle que cette multiplication des fonctionnaires. Sous l’empire, l’administration des beaux-arts comptait deux bureaux. Cette administration en avait sept hier avec un sous-secrétaire d’état. Combien en aura-t-elle demain avec un ministre? D’ailleurs, la question n’a pas grande importance puisque ce n’est qu’une question d’argent. Or, qu’importent au budget des dépenses-ministérielles les cinq cent ou sept cent mille francs que doit coûter la transformation du sous-secrétariat des beaux-arts en ministère des arts?

C’est donc moins pour quelques misérables centaines de mille francs, — la France est assez riche pour se donner le luxe d’un ministère de plus, — que pour une autre cause qu’on doit regretter la création d’un ministère des arts. En voici le danger. Un ministère des arts sera nécessairement confié à un homme politique, au lieu qu’une direction des arts eût été nécessairement confiée à un homme compétent. En effet, depuis la révolution de février, quels sont les hommes qui se sont succédé à la direction ou à la surintendance des beaux-arts? M. Charles Blanc, M. le comte de Nieuwerkerke, encore