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autre bien acquise et vraiment bonne, parce qu’elle sert à faire du bien, parce qu’elle donne accès dans l’âme de la jeunesse, pour y faire pénétrer des idées justes, des connaissances vraies et de bons sentimens. »

Là, dans le mouvement qu’un pareil enseignement suscitait dans les esprits, dans la masse des idées qu’il répandait, dans les aptitudes secrètes qu’il faisait éclore, là était une des sources les plus hautes de la critique que les méthodes nouvelles sont en train de tarir. On empêchera les talens littéraires de se révéler, s’il y en avait dans cette foule d’élite, et l’on déshabituera cette foule elle-même de ce noble plaisir des idées qu’elle ne pourra pas aller chercher dans les programmes trop arides et trop spéciaux de la nouvelle école.


III.

Et cependant ne calomnions pas notre nation et ne décourageons pas les travailleurs qui seraient tentés de briser leur plume dans ce grand silence de la critique contemporaine. Malgré toutes les apparences contraires, ils ne doivent pas désespérer qu’on les écoute, qu’on les lise, qu’on les juge et, quand ils le méritent, qu’on les admire. Dans le tableau que nous venons de tracer des mœurs littéraires, nous avons dû mettre en lumière certains traits qui nous ont frappé et qui frapperont tout observateur sans parti-pris. Nous croyons que la peinture que nous avons faite n’a rien d’exagéré. Et dès lors, on pourrait nous demander : «Pour qui est-ce la peine de travailler dans un temps pareil? La presse, emportée par les passions politiques ou entraînée par la camaraderie, manque d’impartialité, de justice, de liberté dans ses appréciations; elle manque surtout d’étude et de temps pour juger les œuvres les plus considérables, qu’elle exécute, comme les plus légères, en quelques traits de plume. Le public, affairé et frivole, tout entier à ses intérêts ou à ses plaisirs, ne cherche plus dans la lecture qu’une distraction, un amusement, la manière de tuer le temps, comme il le dit lui-même. Mauvaise disposition pour goûter les ouvrages sérieux. Pour qui donc travailler? » — Je répondrai : « Pour le vrai public et pour les vrais juges. »

Car il existe encore de vrais juges, intègres, incorruptibles et clairvoyans. Ils existent même eu plus grand nombre qu’on ne le croit, répartis dans les divers groupes de la société où leur autorité est reconnue, comme l’est toujours celle des hommes qui savent bien et qui ne parlent que de ce qu’ils savent. Ils n’écrivent pas, mais on les consulte, on les interroge, on les écoute; ils ont leur action discrète et la font sentir en chaque circonstance littéraire, à