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prise, laisserait le maréchal Neipperg s’éloigner avec son armée intacte et s’abstiendrait de toute autre action offensive contre la reine et ses alliés. Ensuite, après quelques mois écoulés, en décembre, par exemple, on verrait à convertir la trêve effective et secrète en paix ostensible et définitive. C’est ce que Goltz lui-même résumait le lendemain en ces termes, laissés par écrit entre les mains de Hyndfort : « Je puis vous assurer que, si le roi jouait seul, tout serait bientôt fait... mais nos alliés méritent des égards. Tout ce que nous pourrons faire pour le bien de la reine, qui ne nous est nullement indifférent, c’est de laisser aller son armée d’ici,.. de nous amuser en Silésie et de n’agir autre part contre qui ce soit au monde. Si cela vous convient, M. de Neipperg peut partir demain : s’il le veut, ma tête lui sera garante de ce que j’ai l’honneur de vous dire[1]. »

Hyndfort aurait bien pu penser que même la tête d’un colonel était une faible garantie de l’exécution loyale d’une proposition qui l’était si peu. Mais Marie-Thérèse avait un tel intérêt à recouvrer la libre disposition d’une de ses armées et à obtenir la neutralité de son plus redoutable adversaire qu’il n’hésita pas à transmettre la proposition à Vienne, restant lui-même, comme on l’a vu, sous prétexte de maladie, à portée d’attendre la réponse. Marie-Thérèse pensa comme lui et on peut supposer que ce qui lui. agréa le plus dans l’arrangement offert, c’était le retard apporté à la conclusion d’un traité définitif. Avec son indomptable confiance dans son bon droit, elle pouvait supposer que dans l’intervalle un retour de fortune lui permettrait d’obtenir des conditions plus avantageuses.

Les acteurs étant ainsi tous d’accord et les rôles distribués, il ne s’agit plus que d’assurer le succès de la représentation. On fixa à quinze le nombre des jours que durerait le siège fictif de la ville de Neisse et à deux cents le nombre de coups de canon qui seraient tirés de part et d’autre. La date du 16 octobre fut indiquée pour le commencement de la retraite de l’armée du maréchal Neipperg. Une petite difficulté s’éleva sur la désignation du lieu où l’armée prussienne prendrait ses quartiers d’hiver. Le général autrichien aurait voulu que ce fût uniquement dans la partie de la Silésie dont la cession était promise et que celle qui devait rester autrichienne fût ainsi immédiatement évacuée ; mais Goltz s’y opposa avec beaucoup

  1. Le colonel de Goltz au comte de Hyndfort, 25 sept. 1741. — Pol. Corr., t. I, p. 355. — D’Arneth, t. I, p. 331, 334. — Grünhagen, Geschichte des ersten schlesischen Kriegs. Gotha, 1881, t. II. p. 10 et suiv. — D’après ces deux derniers historiens, ce serait dès le 15 septembre que des pourparlers auraient été engagés entre le colonel de Goltz, le maréchal de Neipperg et lord Hyndfort, pour la conclusion de cet étrange arrangement. La duplicité et la mauvaise foi de Frédéric seraient ainsi encore plus complètes.