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variation? Je supplie Votre Majesté de se mettre un instant à sa place. Ne peut-il pas croire que Votre Majesté n’a cherché qu’à l’amuser et ne s’est servie de la négociation que pour tirer un meilleur accommodement de la cour de Vienne, à qui elle en a peut-être fait la communication, aussi bien qu’à la Russie et aux puissances maritimes? Et Votre Majesté croit-elle que le roi aussi n’a pas été recherché de plus d’un accommodement et que la cour de Vienne elle-même n’ait pas fait et ne fasse peut-être pas actuellement des propositions avantageuses au roi pour la protéger et la défendre contre vos entreprises, et je ne serais pas étonné que la reine de Hongrie ne cédât à ce prix une province à l’électeur de Bavière plutôt qu’à Votre Majesté un seul village? Doutez-vous que la Saxe ne se joignît aussi avec empressement et croyez-vous que de pareils ennemis ne seraient pas plus à craindre pour Votre Majesté que la Russie?.. Où seraient, en ce cas, vos alliés ?.. » Le roi de Prusse, ému de ce discours, m’interrompit en me disant qu’il était persuadé que le roi et M. le cardinal avaient meilleure opinion de lui et ne porteraient pas un jugement si offensant. »

Bref, l’entrevue ne pouvant se prolonger, Belle-Isle dut se contenter des assurances suivantes : le roi ne croyait pas pouvoir procéder immédiatement à la signature du traité parce que cette conclusion, si elle était connue, ferait éclater sur sa tête un orage du côté de l’Angleterre et de la Russie et que les secours de la France n’étant pas encore prêts, ne seraient pas à temps de prévenir ce péril. Il allait en venir aux mains une fois de plus avec les Autrichiens: si la fortune le secondait encore, rien ne s’opposerait plus à l’alliance intime avec la France. S’il était obligé, par suite d’une défaite, de se prêter à une négociation, il la ferait traîner en longueur suffisamment pour laisser à la France et à la Bavière la liberté de lui venir en aide. En tout cas, il ne prendrait jamais aucun engagement contraire aux vues du roi et de l’électeur. Il prévenait d’ailleurs qu’il serait obligé de recevoir l’envoyé anglais et d’entrer en pourparlers avec lui, mais ce n’était que pour l’amuser et il ne fallait en prendre aucun ombrage.

Il n’y eut pas moyen de tirer un mot de plus, et Belle-Isle dut repartir avec ces assurances peu satisfaisantes, contenant à peine l’expression de sa méfiance. Ce qui l’inquiétait le plus, comme il le faisait observer lui-même, par une remarque assez fine, c’était la liberté du langage qu’on lui avait laissé tenir : il voyait là une marque de profonde dissimulation. « Les politesses que j’ai reçues, disait-il, et les marques d’infinie bonté dont il m’a comblé, pendant que sans sortir du respect qui lui est dû, je n’ai pas laissé de lui dire les choses les plus fortes et les vérités les plus dures et les