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l’occasion de le presser de tenir sa parole en signant le traité. Je lui représentai qu’il me fournirait par là des occasions plus fréquentes et plus utiles de lui donner des conseils, puisqu’il me faisait l’honneur de m’assurer qu’il en fait cas. J’ajoutai à ce sujet les choses les plus fortes sur sa gloire, je lui représentai avec liberté que la conduite qu’il avait tenue depuis son entrée en Silésie avait été si irrégulière, par les différens discours qu’il avait fait tenir par ses différens ministres dans les cours de l’Europe, totalement opposés et contradictoires, que sa réputation en souffrait de fortes atteintes ; qu’il était presque généralement blâmé et désapprouvé, que cette seule considération aurait peut-être empêché tout autre que le roi et tout autre ministre que M. le cardinal d’écouter ses principales propositions et de vouloir entrer en alliance avec lui, dans de pareilles circonstances; que le manquement que je lui voyais faire de sa parole, donnée à M. de Valori, achevait d’y mettre le comble, si le public en était jamais informé ; et qu’outre la perte de sa réputation dont un jeune roi aussi accompli que lui et orné de tant de rares et grandes qualités devait être jaloux, il laissait échapper l’amitié et la confiance du roi dont il ne pouvait ignorer tout le prix et l’utilité ; que je lui demandais pardon de lui parler avec cette franchise militaire, mais que je savais qu’il en faisait cas, que c’était un effet de l’admiration que j’avais pour toutes ses vertus et que je ne pourrais lui donner une plus grande marque de mon attachement et de mon profond respect... Le roi de Prusse me répondit avec beaucoup de bonté qu’il m’en remerciait, qu’il m’en estimait davantage et était ravi que je lui parlasse de cette manière, que son dessein était bien toujours de s’allier avec le roi et qu’il était si pénétré de l’amitié que Sa Majesté lui avait marquée dans un temps où tout le monde lui avait tourné le dos qu’il ne l’oublierait de sa vie ; mais comme il se faisait tard, il ne pousserait pas plus loin ce jour-là, avec moi, la conversation, qu’il me donnait rendez-vous le lendemain après dîner, qu’il m’ouvrirait son cœur et qu’il était sûr que je ne le blâmerais pas. »

L’ouverture de cœur préparée par vingt-quatre heures de réflexion eut lieu en effet le lendemain, et le roi prenant la parole commença ainsi: « Lorsque j’ai pris le parti d’entrer en Silésie, j’étais bien assuré que c’était le seul moyen de me faire rendre raison par la cour de Vienne sur les justes droits que j’ai sur les quatre duchés qui ont été extorqués avec violence à mon aïeul et m’indemniser de tous les arrérages. J’ai compté que je serais soutenu par la France qui, ayant un intérêt aussi essentiel d’abaisser la maison d’Autriche et d’exclure le duc de Lorraine du trône impérial, pour marquer en même temps la reconnaissance qu’elle doit à l’électeur