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LE MOUVEMENT FINANCIER DE LA QUINZAINE

La première quinzaine de 1882 a vu s’accomplir une œuvre de salut pour le marché français. La spéculation, en multipliant les exagérations pendant tout le second semestre de l’année qui vient de se clore, avait inspiré les plus légitimes inquiétudes. En dépit de la cherté croissante de l’argent et de l’élévation anormale des taux de report, elle avait porté certaines valeurs à des prix que ne pouvaient justifier ni la situation présente, ni les perspectives les plus brillantes de l’avenir. Tous les calculs fondés sur l’abaissement du loyer des capitaux et sur le changement naturel et logique du taux de capitalisation des titres mobiliers, se trouvaient faussés ; car la hausse continue des grandes valeurs se poursuivait, au moment même où les rentes, entraînées dans un courant contraire, subissaient une dépréciation de plus en plus large et où s’accusaient de toutes parts des symptômes d’un retour à un prix plus élevé de l’argent.

La comparaison des cours au 31 décembre 1882 avec ceux de la fin de 1881 faisait ressortir, avec une netteté saisissante, tout ce que ce double mouvement présentait d’illogique et d’irrégulier. En effet, tandis que certains titres avaient plus que doublé de prix, sans que la progression du revenu eût suivi un développement parallèle, les rentes françaises, les obligations des chemins de fer et du Crédit foncier, en un mot, les valeurs de premier ordre, à revenu fixe, avaient sensiblement baissé. Les capitalistes s’éloignaient des placemens sûrs pour se jeter dans la spéculation pure. La situation était devenue fort périlleuse en ce sens qu’il pouvait arriver un jour où les capitalistes reporteurs, effrayés de la hausse constante des valeurs à reporter et des risques qu’une chute soudaine pouvait faire encourir aux préteurs, refuseraient leurs concours à la spéculation et obligeraient celle-ci à se liquider brusquement. Or chacun pouvait aisément prévoir que si la liquidation forcée surgissait à la suite d’un refus complet de crédit, elle devenait par cela même impossible. La liquidation de janvier n’a pas indiqué que ce péril fût encore imminent. Les reports se sont tenus à des taux très élevés, mais l’argent n’a pas fait défaut. La crise a éclaté cependant, et il faut se féliciter qu’elle ait pour ainsi dire devancé les prévisions ou les craintes ; elle causera moins de ruines