Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 49.djvu/483

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

au pouvoir des assemblées. L’empereur Guillaume, sous le contre-seing du chancelier, dit hautement son fait au pouvoir parlementaire, qu’il veut ramener à un rôle modeste. Le souverain n’hésite pas à avertir encore une fois les chambres que seul il règne et il gouverne, que tout ce que fait le gouvernement émane de lui et que, si ses actes sont contre-signés par un membre du cabinet, cela n’implique nullement une responsabilité ministérielle de nature à éclipser la personne royale. En d’autres termes, l’empereur réclame pour la couronne un pouvoir à peu près absolu, laissant aux chambres le droit de donner des conseils ou de prononcer des discours, et chemin faisant il rappelle à tous les fonctionnaires, députes ou autres, qu’ils doivent leur concours au gouvernement dans tous les cas, particulièrement dans les élections. C’est certainement la plus hautaine revendication d’autorité qui ait été faite depuis longtemps, et il est à remarquer que le roi Guillaume, en paraissant s’adresser aux chambres prussiennes, s’adresse aussi en réalité au parlement de l’empire. Avec cette interprétation de la constitution, si elle est acceptée, il faut convenir que les assemblées n’ont plus qu’une existence médiocre en Allemagne.

Ce qu’il y a de plus curieux, c’est qu’on ne voit pas bien ce qui a pu motiver cet éclat du dernier rescrit impérial. Il peut y avoir dans les chambres des difficultés, des discussions plus ou moins laborieuses, et même, si l’on veut, des votes repoussant quelques-uns des projets du gouvernement; il n’y a pas de conflit sérieux, et aucune circonstance récente n’a pu exciter les ombrages du pouvoir souverain. Ce n’est cependant pas sans raison que M. de Bismarck a pu conseiller le dernier rescrit, et le plus vraisemblable est que le chancelier, mécontent des résistances qu’il rencontre, a voulu être armé d’avance pour une prochaine dissolution du parlement. Les dernières élections, qui ne datent que de quelques mois, ne lui ont pas donné l’appui qu’il désirait, et il veut absolument une majorité dévouée pour voter ses lois économiques et sociales, ses mesures de pacification religieuse, tout ce qui résume sa nouvelle politique conservatrice. Évidemment, il paraît décidé à recourir aux élections, et il n’a jamais caché, d’ailleurs, qu’il se croyait le droit de dissoudre le parlement jusqu’à ce qu’il eût sa majorité! C’est un jeu d’homme puissant, popularisé par le succès, reconnu nécessaire; il reste à savoir si ce jeu ne risque pas d’être un jour ou l’autre meurtrier pour celui qui se le permet et pour la monarchie elle-même.


CH. DE MAZADE.