Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 49.djvu/482

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

constituée. Ce qu’il y a de rassurant et d’utile provisoirement dans cette affaire, c’est l’entente de la France et de l’Angleterre, entente qui est toute diplomatique jusqu’ici, mais qui pourrait prendre un autre caractère ; et si les deux cabinets ont pu se mettre d’accord sur une question toujours délicate, pourquoi n’arriveraient-ils pas à s’entendre dans cette négociation d’un traité de commerce qui paraît avoir moins de chances que la négociation au sujet de l’Egypte? Les journaux anglais sont souvent pleins de vaines récriminations ; les journaux français, de leur côté, répondent par d’autres récriminations. Ce n’est point, à coup sûr, le meilleur moyen d’aider les gouvernemens. Est-ce qu’entre deux nations comme la France et l’Angleterre, il n’y a pas assez d’intérêts communs pour créer une intelligence permanente, pour maintenir ou faire revivre cette alliance occidentale, qui a eu ses beaux jours, qui serait pour la paix de l’Europe une garantie plus efficace que toutes les alliances essayées et abandonnées tour à tour?

Le grand maître des alliances en Europe, M. de Bismarck, semble depuis quelque temps assez mystérieux, assez silencieux dans sa diplomatie. Il n’est pas inactif, il laisse ses combinaisons se développer d’elles-mêmes dans une situation générale qui est en partie son œuvre. Son unique pensée, on le voit bien, est de se servir de tout, de multiplier pour ainsi dire les défenses autour de l’empire qu’il a créé, et dans cette tâche nouvelle qu’il poursuit depuis quelques années, il déploie plus de ressources que dans les premières phases de sa carrière de conquérant. Ce qu’il a gagné avec une audace de joueur, il s’occupe à le mettre en sûreté par tous les calculs d’une savante et forte diplomatie que les scrupules n’embarrassent pas. Est-il aussi habile ou sera-t-il aussi heureux dans la politique intérieure qu’il prétend appliquer en Allemagne? C’est une question qu’on est tenté de se faire toutes les fois qu’on voit ce puissant et indomptable esprit soulever des problèmes presque insolubles ou se créer des difficultés contre lesquelles bien d’autres se sont brisés. Pendant quelques années, tant qu’il a cru y trouver un avantage pour sa politique du moment, il s’est servi des libéraux; aujourd’hui, soit par un réveil de son vieux naturel, soit par crainte des propagandes révolutionnaires, il revient à tout un système coordonné de réaction, et comme pour mieux attester ce retour, le voilà renouvelant à l’improviste une manifestation qui ramène brusquement à ce qu’on appelle « l’époque des conflits, » à ces années 1862, 1863 où il entrait en lutte ouverte contre le parlement prussien. Il n’a jamais été très tendre pour les parlemens, le terrible chancelier; il les a supportés quelquefois, quand ils étaient de son avis; d’habitude, il les traite lestement, et il vient de le prouver une fois de plus par le rescrit impérial et royal qui a paru aux premiers jours de l’année, qui n’est en définitive qu’une déclaration de guerre