désirant tout, protestant sans cesse que c’est la dernière fois qu’il écrit, et recommençant le lendemain à demander ce qu’on lui a refusé la veille.
Il serait fort aisé, en faisant quelques extraits des lettres qu’on vient de publier, de montrer à quel point l’amour de Benjamin Constant était sincère et profond. L’embarras est de choisir : que prendre et que laisser ? L’accent est le même partout; tout y est presque également violent et emporté. Voici pourtant quelques lignes que je cite volontiers parce qu’elles font voir combien Benjamin Constant se connaissait lui-même et le sentiment qu’il avait des incertitudes de sa vie. « Guidez-moi, disait-il à Mme Récamier, tandis que mes forces sont entières et que le temps s’ouvre devant moi, pour que je fasse quelque chose de beau et de bon. Vous savez comme ma vie a été dévastée par des orages venus de moi et des autres, et, malgré cela, malgré tant de jours, de mois, d’années prodigués, j’ai acquis un peu de réputation. Né loin de Paris, j’étais parvenu à y occuper une place importante. Aujourd’hui même, je ne puis me le cacher, les yeux sont tournés vers moi, quand on a besoin d’une voix qui rappelle les idées généreuses. Je n’ai su tirer aucun parti de mes facultés, qu’on reconnaît plus que je ne les sens moi-même, parce que je n’ai aucune raison. Emparez-vous de mes facultés, profitez de mon dévoûment pour votre pays et pour ma gloire. Vous dites que votre vie est inutile, et la Providence remet entre vos mains un instrument qui a quelque valeur si vous daignez vous en servir ! Laissons de côté ces luttes sur des mots qui ne changent rien aux choses. Soyez mon ange tutélaire, mon bon génie, le Dieu qui ordonnera le chaos dans ma tête et dans mon cœur. » Pour satisfaire l’ardent désir qu’il éprouve d’être relevé et régénéré par l’amour, il se livre tout entier lui-même à la personne qu’il aime. Il lui abandonne sans réserve le gouvernement de son esprit, la direction de son âme : « Jamais je n’ai aimé, jamais personne n’a aimé comme je vous aime, je vous l’ai dit ce soir. Il est trop vrai, je ne suis plus moi, je ne puis plus répondre de moi. Crime, vertu, héroïsme, lâcheté, délire, désespoir, activité, anéantissement, tout dépend de vous. Dieu m’a remis entre vos mains. Tout le bien que je puis faire vous sera compté, tout ce que je n’aurai pas fait, vous en rendrez compte. Prenez-moi donc tout entier, prenez-moi sans vous donner; mais dites-vous bien que je suis à vous comme un instrument aveugle, comme un être que vous seule animez, qui ne peut plus avoir d’âme que la vôtre. »
Malheureusement, ce ne sont pas là de vaines phrases. Il s’était trop livré, et sa conduite politique, pendant cette fatale année, en a porté la marque. On ne peut douter que, pour plaire à Mme Récamier, il ne se soit engagé dans la défense des Bourbons un peu plus loin qu’il ne l’aurait fait de lui-même. Assurément, ses convictions le portaient vers