Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 49.djvu/462

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’Agnès, m’interdirai-je d’écrire l’École des femmes, de peur que Trissotin ou Vadius me reproche d’avoir copié Scarron? Et si Bandello, si son adaptateur français, si son traducteur anglais, ont déjà supérieurement traité la légende tragique des amans de Vérone, lorsqu’il suffit, comme le dit si bien M. Montégut, « d’ajouter des ailes » à leur prose pour en faire sortir ce drame de l’amour, l’y laisserai-je enveloppé? Mais, ce qu’à Dieu ne plaise, et vous ne le voudriez pas! car vous sentez bien que c’est ici la véritable ou plutôt la seule invention. C’est à Goethe que l’on fait honneur de Faust, et non pas à Widmann; à Molière de l’École des femmes, et non pas à Scarron; à Shakspeare de Roméo et Juliette, et non pas même à Bandello. Qu’importe la bordure? C’est le sujet qu’on y met. Qu’importe le sujet? C’est la manière dont on le traite. Qu’importe enfin même la manière? C’est la main dont elle porte témoignage et la pensée surtout qui conduit cette main. Inventer, c’est, comme Shakspeare, élever le fait divers et l’accident quotidien, la chronique et l’histoire jusqu’à la dignité de la tragédie; c’est, comme Molière, dégager d’un conte gaulois ce qu’il enferme quelquefois d’expérience de l’homme et de la vie ; ou c’est encore, comme Goethe, discerner sous les voiles d’une légende populaire ce qu’elle enveloppe de sens métaphysique ; c’est mettre la poésie où il n’y avait que le mélodrame, la psychologie où il n’y avait que des faits, la métaphysique enfin où il n’y avait que de la fable et du merveilleux. Le reste n’est rien et n’a jamais compté ni ne comptera dans la littérature ou dans l’art.

Ramenons maintenant, et brusquement, le lecteur à son point de départ. De quoi se plaint M. Uchard? De ce que le sujet d’Odette est le même que celui de la Fiammina? Il a senti tout le premier qu’il ne pouvait pas pousser jusque-là la nouveauté de ses prétentions. De ce que les ressorts de l’action sont les mêmes dans Odette et dans la Fiammina? C’est une question, une question à examiner, mais de l’examen de laquelle nous nous dispenserons pourtant, car, de quelque façon qu’on la résolve, M. Mario Uchard n’a pas plus de droits sur son idée de pièce que sur l’idée de sa pièce. A moins peut-être qu’il ne fasse dire en justice que Molière est un larron de gloire, et prononcer par arrêt de la cour que l’admiration publique, égarée depuis tantôt trois cents ans sur le nom de Shakspeare, se reportera désormais sur les noms injustement oubliés d’Hollinsheed et de Saxo Grammaticus. Il lui plaît encore d’ajouter, si je l’entends bien, que l’émotion serait procurée par les mêmes moyens dans Odette et dans la Fiammina. Mais en est-il bien sûr? Est-il certain de ne pas se tromper quand il croit voir la poussée dans Odette aux mêmes points qu’elle s’exerce dans la Fiammina ? A-t-il bien le droit de sacrifier si délibérément la part d’invention de l’autre, et de ne retenir de ces quatre actes que trois scènes, où il