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Facétieuses Nuits de Straparole ou dans le Pecorone de Ser Giovanni. On le pourrait et on l’a fait. Mais, comme le remarque M. Paul Mesnard, si l’on veut voir le fond de l’Ecole des femmes dans l’aventure « d’un amant qui prend pour confident son rival même et n’en réussit pas moins à le tromper, » alors, il n’y a plus de raison pour ne pas remonter jusqu’au bon Hérodote, et lui-même, d’où tient-il l’histoire du roi Candaule? Ajoutez que, lorsque Molière fait tant que d’emprunter, il emprunte plus délibérément : c’est à Scarron qu’il a pris le vrai sujet de l’École des femmes.

Combien y a-t-il de lecteurs qui connaissent les Nouvelles tragi-comiques du joyeux paralytique? Cependant, la première, au moins, a joué d’un singulier bonheur. Beaumarchais en a repris le titre, qu’il a rendu fameux (c’est la Précaution inutile) ; quelque chose même en a passé jusque dans le Mariage de Figaro. Sedaine en a tiré la Gageure imprévue : il eût mieux fait de l’y laisser. Molière enfin y a trouvé le sujet de l’École des femmes. Et le sujet, remarquez-le bien, non pas dans sa généralité vague et dans sa moralité banale, définie par Scarron lui-même, à savoir ; « que sans le bon sens la vertu ne peut être parfaite, » et qu’une « sotte ne peut être honnête femme sans le secours d’autrui; » mais le sujet tout construit, et la machine tout échafaudée, de telle sorte que la poussée s’exerce précisément aux mêmes points dans la fort médiocre nouvelle de Scarron, mal venue, confuse, invraisemblable, souvent grossière, et le chef-d’œuvre de Molière. L’élément comique, d’abord, est le même dans l’Ècole des femmes et dans la Précaution inutile (je veux dire la nouvelle de Scarron, car, comme la comédie de Beaumarchais est encore une version du même thème, on pourrait s’y tromper) et cet élément n’est autre que l’ironique persistance avec laquelle leurs mesures les mieux prises et leurs ruses les mieux ourdies se retournent contre le dom Pèdre de Scarron et l’Arnolphe de Molière. Les ressorts de l’intrigue y sont les mêmes aussi : l’éducation de la jeune fille,

Dans un petit couvent, loin de toute pratique ;


autour d’elle (ce sont les termes de Scarron) « les valets les plus sots » et « les servantes les plus sottes; » le voyage de dom Pèdre et l’absence d’Arnolphe ; le gentilhomme qui passe et repasse sous les fenêtres de la maison; la vieille entremetteuse; le naïf récit que la Laure de Scarron et l’Agnès de Molière font elles-mêmes de leur aventure : tout était déjà dans la nouvelle de ce que nous retrouvons de la comédie. Mais la ressemblance va plus loin, et il n’est pas jusqu’à quelques-uns des traits les plus heureux de Molière qui ne soient dans Scarron. Tel est le discours de dom Pèdre à sa femme : « Il se mit dans une chaise, fit tenir sa femme debout, et lui dit ces paroles : Vous êtes ma femme,