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douteuse qu’il est inutile d’en parler, Goethe a déplacé le centre de l’action, modifié dans ses profondeurs l’économie de l’intrigue, et, par conséquent, sur la donnée légendaire, construit un drame tout nouveau. Je n’y veux pas contredire. Car, si par une supposition dont je supplie qu’on me pardonne l’impiété, j’enlève de Faust, pour un instant, le personnage de Marguerite, je vois bien que le poème garde toute sa valeur épique, philosophique, symbolique, mais il ne, faut pas douter qu’il ne perdît le meilleur de sa valeur dramatique. Admettons donc qu’il y ait, par la seule création de Marguerite, non-seulement renouvellement, mais, au vrai, transformation du vieux drame, et dans le sens tout à fait étroit du mot, une part certaine d’invention. Cherchons donc un autre exemple, et après avoir consulté Goethe, consultons maintenant Molière.

Ce fut « un grand et habile picoreur, » ou du moins, il en eut en son temps la réputation. Et, de fait, relever, dans sa prose ou dans ses vers, tout ce qu’il s’est permis, avec une liberté souveraine, d’imitations, de traductions, d’emprunts, c’est ce qu’on ne saurait faire au courant de la plume, tant il faut convenir que les endroits sont nombreux, et tant aussi les citations seraient longues. Et puis ne serait-ce pas trop abaisser la question? Ceux là mêmes qui réduisent l’invention à cet art subalterne de machiner des combinaisons uniques oseraient-ils bien disputer à Molière le droit de faire passer telle scène entière du Pédant joué, de Cyrano de Bergerac, dans ses Fourberies de Scapin, ou même, jusque dans son Avare, tout un long monologue des Esprits, de Pierre Larivey? Mais nous, qui ne renfermons pas l’invention dans ces bornes étroites, nous félicitons Cyrano de Bergerac et Pierre Larivey de l’honneur qu’il a plu à Molière de leur faire. Car enfin n’est-il pas vrai qu’ils ne vous sont connus pour avoir eu des « idées de monologue, » ou des « idées de scène, » qu’autant que l’autre a bien voulu s’en apercevoir, et nous l’apprendre en les leur dérobant? Laissons donc ce détail. Laissons aussi de côté telle et telle grande pièce, l’Étourdi, par exemple, ou encore l’Amphitryon; ce sont imitations trop ouvertement déclarées, et la démonstration nous serait trop facile. On peut noter au passage que le vers de Molière n’a peut-être jamais été plus joyeux, plus retentissant, plus sonore que dans l’Étourdi, ni jamais plus plein, plus libre, plus élégant que dans l’Amphitryon. Et c’est bien une manière, en effet, de renouveler un sujet, et qui, peut-être, n’est pas à la portée de tout le monde. Il ne reste pourtant pas moins que l’Amphitryon, conçu dans les données de la comédie latine, et l’Étourdi, dessiné sur le plan de la comédie italienne, auraient ce tort, pour aujourd’hui, de n’être pas assez approchés de la vie réelle, assez voisins, si je puis dire, de l’humanité de tous les temps et de tous les lieux. Il me semble que l’Ecole des femmes échappe à ce reproche.

Je n’irai pas rechercher l’origine de l’École des femmes dans les