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d’argent; la question est jugée. Mais ce qui frappera aussi les lecteurs attentifs de ces procès-verbaux, c’est la naïveté excessive dont a fait preuve notre gouvernement et en particulier notre ancien ministre des finances. Il ne fallait pas être grand clerc en matière de circulation monétaire pour deviner que, si on arrivait jamais à faire reprendre la monnaie d’argent, ce serait à notre préjudice, à nous qui avons le plus d’or à donner en échange. Les propositions mêmes qui ont été faites au sein de la conférence par les états opposés à cette reprise l’ont établi de façon à ne pouvoir s’y méprendre.

L’Allemagne est venue dire que, si le groupe de l’union latine consentait à rouvrir ses ateliers monétaires à la frappe libre de la monnaie d’argent, elle arrêterait pendant un temps plus ou moins long les ventes qu’elle avait encore à faire de ce métal, et l’Angleterre, de son côté, s’engageait aux mêmes conditions à mettre dans l’encaisse de sa banque principale une certaine quantité d’argent, dans la proportion du quart, par exemple, comme garantie des billets au porteur. Cela était clair. En effet, tant que la France et ses confédérés consentaient à admettre l’argent sur le pied de 15 1/2 à 1 et à le faire monnayer en quantité illimitée, il n’y avait aucun inconvénient pour l’Allemagne à garder ce qu’elle avait de trop de métal blanc ; elle en aurait toujours le placement avantageux quand elle voudrait et à sa porte ; de même pour ce qu’il pouvait y en avoir dans l’encaisse de la Banque d’Angleterre. Le bout de l’oreille était visible, et on s’étonne que notre ancien ministre des finances ne l’ait pas aperçu. Espérons que le nouveau sera plus avisé et que, si la conférence doit se réunir encore au mois d’avril, il tiendra un autre langage que son prédécesseur. On dit qu’il est favorable au rachat des chemins de fer par l’état ; c’est probablement pour faire baisser les tarifs de transports et nous mettre plus à même de lutter contre la concurrence étrangère. Le moyen est très mauvais, mais la pensée est bonne. Il est évident qu’aujourd’hui la suprématie commerciale appartient à ceux qui sont le mieux outillés pour produire à bon marché, et le prix des transports est un des élémens du problème ; mais il y en a un autre qui n’a pas moins d’importance et qui joue même un rôle plus considérable dans les frais de production, c’est le prix du capital. Or, si ce prix, qui devrait être à un niveau assez bas, eu égard à la richesse du pays et à l’abondance des ressources, se trouve surélevé par suite de la fausse situation dans laquelle se trouve notre principal établissement de crédit, on avouera qu’il y a là quelque chose de fâcheux, à quoi il faut porter remède si on le peut, et on le peut, dans une certaine mesure, par la démonétisation de l’argent.


VICTOR BONNET.