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est proscrit? La production du métal jaune suffira à peine pour réparer les pertes, l’usure et l’emploi en usages industriels. L’instrument d’échange renchérira d’une façon inouïe, les débiteurs ne pourront plus payer, et les nations seront arrêtées dans leurs progrès. Pour donner à cette prédiction sinistre un corps sérieux, M. de Laveleye, qui l’a particulièrement mise en avant, analyse des études faites récemment par un géologue allemand, M. Suess. Ce savant, après avoir établi que les terrains d’alluvion sur le bord des rivières sont ceux qui ont produit le plus d’or depuis plusieurs années, environ 15 milliards sur 17, déclare qu’aujourd’hui ces terrains sont épuisés et qu’on en est réduit à chercher l’or dans les filons granitiques, volcaniques ou autres mêlés au quartz; il faudra beaucoup plus de dépenses pour l’extraire et on le trouvera en moindre quantité, il n’ose pas dire pourtant qu’on ne le trouvera plus dans les conditions d’autrefois; mais les chances défavorables lui paraissent l’emporter sur celles qui seraient favorables, et là-dessus il fait une théorie toute scientifique pour prouver que l’or, étant un métal d’une densité plus grande que l’argent, a été, lors du refroidissement de notre planète, emporté par sa pesanteur même au fond des entrailles de la terre et qu’on aura plus de peine à l’y aller chercher. Nous ne savons ce qu’il y a de fondé dans cette théorie du savant géologue allemand; nous n’avons aucune compétence pour la contrôler. Nous nous en tenons seulement aux faits acquis.

Dès aujourd’hui, dans le monde civilisé, dans celui qui fait usage de l’or et aux besoins duquel ce métal répond particulièrement, il y en a pour 17 à 18 milliards, c’est le chiffre auquel on l’évalue en général; de plus, la production annuelle nous en fournit encore, et d’une façon assez constante, pour 500 millions par an. Avec ce stock acquis et cette production annuelle en perspective, il nous semble qu’il y a de quoi satisfaire largement aux besoins, et les dangers dont on nous menace sont encore éloignés. Nous croyons nous souvenir qu’un homme d’une grande autorité aussi, M. Gladstone, faisait, il y a quelques années, une autre prédiction, également sinistre, à propos du charbon de terre. Voyant la consommation excessive qu’on faisait de ce combustible, il déclarait qu’il n’y en avait plus dans les entrailles de la terre que pour quatre cents ans. C’était déjà un beau laps de temps, et beaucoup de générations n’avaient pas à s’inquiéter de la prédiction; mais comme le monde est destiné en définitive, il faut l’espérer au moins, à durer plus de quatre cents ans encore, on pouvait craindre au moins de voir le charbon renchérir de plus en plus. Depuis la déclaration de M. Gladstone on en a extrait et consommé plus que jamais, et le prix ne s’est pas élevé; c’était la preuve qu’on croyait peu à l’épuisement;