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même quantité de marchandises et demanderait aussi à en acheter la même quantité. — Conséquemment, si on jetait dans la circulation monétaire du pays 4 milliards de francs, au lieu des 2 que dans notre hypothèse il possède actuellement, les 4 milliards ne pourraient toujours acheter que la même quantité de biens. La seule différence serait qu’on donnerait 2 francs là où on en donne 1, la pièce de 1 franc ne vaudrait plus que 50 cent. »

Donc, si l’abondance des métaux précieux conduit au progrès, et nous sommes de ceux qui sont disposés à l’admettre, c’est à la condition que les circonstances seront favorables et qu’elle se produira lentement, à mesure que des besoins nouveaux se manifesteront. Or qu’arriverait-il, si demain, par un accord de toutes les nations, on rouvrait les ateliers monétaires dans toute l’Europe au libre monnayage de l’argent? La dépréciation qui en résulterait pour les deux métaux pourrait être plus grande que celle qui accompagne ordinairement l’émission du papier-monnaie. Après tout, quand une nation par la force des choses et le malheur des temps est amenée à émettre du papier-monnaie, si elle le fait avec prudence au fur et à mesure des besoins les plus urgens, la dépréciation est légère, et ne devient grande que lorsqu’on abuse de l’émission. Dans le cas qui nous occupe, on verrait rentrer tout à coup dans la circulation 3 milliards d’argent qui sont aujourd’hui inutiles, sans compter ce qu’y ajouterait chaque année la production des mines, et cette surabondance se manifesterait, comme cela arrive toujours dans les pays les plus riches et qui sont déjà suffisamment pourvus de métaux précieux. Il est donc très probable qu’il en résulterait immédiatement une dépréciation assez sensible.

Mais cette hypothèse, je le répète, est subordonnée à ce que l’or et l’argent pourraient circuler ensemble, à côté l’un de l’autre, et que l’or ne s’en irait pas pour faire place à son concurrent; ce qui est complètement inadmissible. Pourquoi est-ce l’or qui circule en ce moment dans les grands états de l’Europe? Parce que l’argent ne lui fait plus concurrence. L’Angleterre, l’Allemagne l’ont démonétisé et ne le conservent plus que comme monnaie divisionnaire. Dans l’union latine en France, en Suisse, en Italie, en Belgique, on ne le frappe plus et il n’existe qu’en quantité limitée. Dans d’autres états où l’on a encore le double étalon, comme la Russie, l’Autriche, on emploie l’or de préférence pour conserver des rapports possibles avec les nations qui ne se servent que de ce dernier métal. L’Amérique elle-même, malgré ses sympathies apparentes pour l’argent, ne peut pas le mettre en circulation. Changez tout cela, si vous pouvez; faites que l’Angleterre et l’Allemagne donnent demain à l’argent force libératoire comme à l’or et que l’union latine lui rouvre ses ateliers monétaires, il ne se passera pas un temps bien long avant