Maintenant, examinons la question de plus près, plaçons-nous un moment au point de vue de cette conférence, à celui d’une entente universelle, et, supposons qu’au moyen de cette entente on puisse vaincre les répugnances du public et faire rentrer l’argent dans la circulation côte à côte avec l’or sur le pied du rapport de 15 1/2 à 1. Serait-ce un résultat désirable ? Nous ne le croyons pas.
Sans doute, si l’accord avait lieu et si les ateliers monétaires se rouvraient partout d’une façon illimitée à la fabrication de la monnaie d’argent, sur le rapport de 15 1/2 à 1, il n’y aurait plus de dépréciation particulière de ce métal ; ceux qui en seraient détenteurs, trouvant toujours à le vendre à des prix déterminés aux hôtels de monnaies, ne s’aviseraient pas de le céder au-dessous. En apparence, tout serait sauvé et le problème serait résolu : tout serait perdu, au contraire, et le problème ne serait que déplacé. L’argent circulerait pour 15 1/2 de son poids par rapport à l’or, comme le veut la loi de germinal an XI. Mais que se passerait-il ? Serait-ce l’argent, qui, en vertu de cet accord universel, recouvrerait les 15 pour 100 qu’il perd aujourd’hui ? Pas le moins du monde, ce serait tout simplement l’or, dont la valeur serait abaissée d’autant. C’est lui qui ferait les frais de l’accord. Il perdrait ce que l’autre métal aurait gagné. Au fond, les choses resteraient les mêmes, ou plutôt non, elles s’aggraveraient, car la dépréciation, au lieu de peser sur un seul métal, comme aujourd’hui, les atteindrait tous les deux, et les marchandises renchériraient en conséquence. Cela est facile à démontrer. Aujourd’hui, la circulation métallique repose sur 17 à 18 milliards d’or frappés comme monnaie, et sur une quantité à peu près égale d’argent qui perd 16 pour 100 ; si ce dernier métal perd 16 pour 100, c’est parce qu’il n’est pas en pleine circulation, qu’il y en a beaucoup d’inactif qui s’amasse inutilement dans les caisses de l’état ou dans celles des grands établissemens publics, comme nous le voyons du reste. S’il était employé et nécessaire, il ne perdrait pas. Quelle est la somme qui peut être ainsi inutile ? Supposons qu’elle soit de 3 milliards (et elle est bien près de ce chiffre) ; tous les besoins se trouvent donc aujourd’hui satisfaits sans ces 3 milliards, c’est-à-dire avec 15 milliards d’argent au lieu de 18. Si, demain, en vertu de l’accord, on redonnait à ce dernier métal son ancienne valeur, les 3 milliards rentreraient dans la circulation, et que viendraient-ils y faire puisqu’on n’en a pas besoin ? Ils amèneraient une surabondance des métaux précieux, et, par suite, une dépréciation. Tant mieux ! diront quelques personnes, l’abondance des métaux précieux conduit au progrès. C’est une question à examiner.