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un niveau de civilisation morale très élevé ; mais la Grèce, dans laquelle ils vivaient, n’avait ni la richesse ni un mouvement, de transactions comparable à ce qui existe chez les peuples modernes; par conséquent, la monnaie d’argent pouvait lui suffire comme avait suffi la monnaie de fer dans les premiers âges de l’histoire. De même pour l’Allemagne, Goethe et Schiller sont assurément de plus grands hommes que MM. Bamberger et Soetbeer; mais l’Allemagne des premiers n’était pas du tout celle des seconds; elle n’était pas couverte de chemins de fer comme elle l’est aujourd’hui, et les transactions y étaient infiniment moins nombreuses. Ce n’est pas entre les sommités intellectuelles des diverses époques qu’il faut faire des comparaisons pour juger de l’état de civilisation et apprécier les besoins plus ou moins grands qu’on peut avoir des métaux précieux; il faut se mettre à un point de vue plus terre à terre et se demander si ce qui était bon pour nos aïeux dans l’état peu développé de leurs intérêts matériels le serait encore aujourd’hui pour nous avec l’immensité de nos affaires.

Je ne voudrais pas abuser d’une comparaison que j’ai déjà faite à propos de cette question de la monnaie, mais elle revient fatalement à l’esprit toutes les fois qu’on en parle, tant elle paraît topique. Nos ancêtres n’avaient d’autres moyens de transport que les charrettes et les diligences, et cela leur suffisait. Cela nous suffirait-il à nous qui connaissons les chemins de fer et avons profité de tous les progrès qui en ont été la suite ? Nos ancêtres se servaient aussi de l’éclairage à l’huile, qu’on a remplacé plus tard par l’éclairage au gaz. Eh bien ! voudrait-on dire, après les résultats splendides qu’a manifestés la dernière exposition d’électricité, que l’éclairage au gaz lui-même est le dernier mot des améliorations, et que nous n’avons rien à espérer de mieux? Tout progresse dans le monde, et s’il est quelquefois regrettable de voir que, dans celui de la politique et de la morale, il y a des temps d’arrêt, presque de recul, on constate au moins avec satisfaction qu’il n’y en a pas dans le monde matériel ; chaque jour nous amène la découverte de nouveaux agens mieux appropriés à nos besoins et qui nous font mettre de côté ceux qui auparavant nous suffisaient. On pourrait demander si Platon et Aristote connaissaient le crédit tel que nous le pratiquons maintenant, s’il leur était nécessaire; si l’Allemagne elle-même avait au siècle dernier toutes les institutions financières dont elle est dotée aujourd’hui. Il en est de même pour les métaux précieux. Oui, l’argent suffisait encore il y a cent ans et même cinquante, il ne suffit plus à l’heure présente. Il faut, pour que le progrès ne subisse pas d’entrave, que tout marche du même pas. Les découvertes qui nous ont le plus émerveillés depuis cinquante ans sont les chemins de fer, la télégraphie électrique et l’abondance des mines d’or ; elles sont nées