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liqueurs fortes, des aventuriers sans profession comme sans vergogne. Et toujours montait le flot des individus les plus tarés, fuyant les lieux où menace la justice.

Ces premiers colons, pour la plupart, se mettaient en ménage avec des femmes indigènes; la licence la plus effrénée, les scènes les plus révoltantes s’étalaient au grand jour, inspirant le dégoût aux sauvages. Les actes de violence se renouvelaient sans cesse. Toutes les injustices, tous les outrages, les vols, les meurtres restaient impunis. Pour des gens de mœurs douces, il ne pouvait y avoir agrément à vivre près d’un tel monde. Des esprits enclins à la statistique ne distinguaient dans la bourgade de Kororarika que deux catégories d’habitans : ceux qui vendent le whiskey et ceux qui le boivent. Au voisinage du pah des indigènes abondaient les débits de liqueurs et les maisons de débauche; en général, les maîtres de ces établissemens ne goûtaient pas la concurrence à leur porte. Un jour, un homme étant arrivé de Sidney voulut ouvrir une boutique du même genre ; les voisins parlèrent de le pendre et déjà ils en étaient aux préparatifs pour dresser la potence ; — le nouveau venu n’insista point et disparut[1]. Dans cette société les vols se pratiquaient d’une manière habituelle; entre les volés et les voleurs les luttes étaient effroyables. La seule loi en vigueur parmi les Européens était la loi de Lynch. Si l’on faisait subir quelque peine odieuse à un individu, afin de se prémunir contre des suites possibles, on l’obligeait à signer une attestation que le châtiment infligé était juste. Pour les crimes les plus atroces, il n’y avait aucune possibilité de recours légal. Kororarika, lieu d’élection des baleiniers et de la plus vile plèbe de Sidney et d’Hobart-Town, était un pandémonium comme il n’en existait nulle part ailleurs dans l’ancien ou dans le Nouveau-Monde; — les témoignages sont unanimes.

A l’égard des aborigènes, on se doute de quelle façon se comportaient ces ignobles Européens lorsqu’ils se croyaient en force. Parmi les baleiniers il y avait un jeu habituel. Le navire touchait-il un point de la côte, il emmenait quelques misérables femmes venues à bord sans méfiance. Au moment de s’éloigner de la Nouvelle-Zélande, on déposait les pauvres créatures souvent à plusieurs centaines de milles de l’endroit où elles avaient été prises. On les abandonnait sans ressources, sans moyen de retrouver leur pays, exposées au plus triste sort.

A Londres, on parlait beaucoup de la Nouvelle-Zélande, mais en évitant de faire un tableau trop sombre de la population européenne

  1. John Dunmore Lang, New-Zealand in 1859, or Four Letters to the right honourable earl Durham, in-8o ; London, 1839.