Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 49.djvu/34

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

alors dans les affaires aussi bien que sur les champs de bataille. Ne pouvant emporter l’obstacle d’assaut, il s’ingéniait à le tourner, et, laissant à d’autres la charge de gouverner le prince, lui, faisait mine de ne songer qu’à le divertir. Par une conversation piquante, par des saillies originales, il trompait l’ennui de son oisiveté et s’était rendu le compagnon inséparable de tous ses plaisirs. Il s’astreignait même à partager ses dévotions officielles et obligatoires pour en alléger le poids. Peu à peu, aux camaraderies joyeuses succédaient les épanchemens et les confidences. Il ne s’agissait d’abord que d’affaires de cœur. Le diplomate, comprenant à demi-mot les insinuations, se chargeait d’arranger chez lui, tout exprès, de petits soupers fins où un prélat peu sévère venant sans cérémonie pouvait rencontrer les belles dames de sa connaissance sur un pied de familiarité que ne permettait pas le décorum du palais épiscopal. Puis, le lendemain de ces fêtes discrètes, l’hôte auguste était prié d’accepter, en guise de petits cadeaux pour entretenir l’amitié, des objets d’art ou de prix tout récemment apportés de France et qui avaient paru fixer son attention. La galanterie ouvrait insensiblement la porte à la politique. Quand le prince était pâle et avait passé une mauvaise nuit, on l’accablait d’affectueuses interrogations sur sa santé, à quoi il répondait souvent avec un soupir que les affaires publiques lui donnaient bien du souci, et parfois il s’oubliait jusqu’à laisser voir que, s’il avait à se plaindre de son frère, il n’était pas non plus sans remords de suivre des conseils contraires à l’intérêt de sa famille. De singuliers aveux lui échappaient : il convenait qu’il s’était un peu pressé de saluer la reine de Hongrie; mais c’est qu’il avait promis cette reconnaissance autrefois à l’empereur son père, en même temps qu’il recevait de lui un don de 100,000 florins, et son directeur lui assurait qu’il ne pourrait se dédire sans rendre l’argent. Enfin, de confession en confession, il en vint un jour à raconter à de Sade lui-même que la cour de Vienne le pressait fort de signer un traité secret par lequel il s’engagerait à observer une neutralité absolue dans tout conflit où l’Autriche serait engagée : on lui promettait en échange de lui faire toucher les revenus des commanderies de l’ordre teutonique dont il était titulaire, mais dont la maison de Prusse s’adjugeait depuis deux siècles, sans scrupule, tous les profits. « Que dois-je faire? disait-il; je vous avoue que je n’en dors pas. » De Sade, évitant de paraître trop pressé de relever l’ouverture, lui conseilla simplement de prendre des calmans et d’éloigner toutes les préoccupations qui le fatiguaient. « Ah! reprit alors le prince attendri, vous êtes un véritable ami; il n’y a que vous qui m’aimiez. Si vous n’étiez pas l’envoyé de France, je ne me conduirais que par vos avis. Mais on prétend