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remette en question beaucoup de choses. Le droit ne s’éteint pas, mais il s’éclipse.

Il n’en peut être autrement, qui le conteste? dans l’état actuel des sociétés européennes. Mais il n’en faut pas conclure qu’il n’y ait pas de droit international, que certaines pratiques ne soient pas, à la longue, abandonnées d’un commun accord et que de nouveaux principes, dictés par un sentiment plus élevé de la justice, ne règlent pas définitivement, à un moment donné, les rapports internationaux. Ce qui trompe certains observateurs, c’est qu’ils bornent leur examen à un trop petit nombre de faits et à un trop court espace de temps. A procéder de la sorte, on arriverait à nier tous les progrès, car il n’est pas de peuple qui n’ait vu, en-deçà de ses frontières et sur son propre territoire, le droit succomber sous la force. Cela ne signifie pas que la cause du progrès soit à jamais vaincue : le plus souvent, après quelques années, le droit prend sa revanche, et l’humanité reprend sa marche. Les choses ne se passent pas autrement dans la sphère des rapports internationaux, quoique l’observateur, devant lequel l’horizon s’est élargi, doive généralement se résigner à une plus longue attente.

Par cela seul que les citoyens d’un même état sont en contact, on voit se développer chez eux la notion du juste. Comme les nations ne peuvent pas plus s’isoler que les individus, il faut que chacune d’elles apprenne à respecter le droit des autres pour faire respecter le sien. Ainsi se fonde, en vertu d’un principe nécessaire, une loi qui règle les rapports de peuple à peuple. Dès qu’elle existe, elle ne peut que se purifier à mesure que les nations s’éloignent de la barbarie, qu’elles comprennent mieux leur intérêt réciproque, qu’elles corrigent leur droit public interne, qu’elles envisagent plus clairement sous tous ses aspects l’idée générale du juste.

Le droit international se transforme ainsi par la coutume universelle des peuples, et cette adhésion générale (consensus gentium) est la marque la plus irrécusable d’un progrès accompli. Par exemple, Grotius enseignait encore, en 1625, que, « par le droit des gens, » tous les prisonniers faits dans une guerre publique et en forme sont réputés esclaves. Mais il ajoutait presque aussitôt : « Tous les chrétiens généralement ont trouvé à propos d’abolir entre eux l’usage de rendre esclaves des prisonniers de guerre. » Voilà le progrès acquis ; les peuples soumis à l’ancienne coutume l’ont jugée incompatible avec leur nouvelle conception du juste : c’est ainsi qu’une loi plus parfaite est, par la volonté commune, sortie de l’ancienne loi. Même avant que les peuples aient unanimement accepté ce nouveau joug, on peut reconnaître que certaines réformes s’accomplissent ou sont à peu près accomplies. Quand