Belle-Isle, et je saurai à Francfort, par le dit sieur Coltz (c’était le nom de ce conseiller si bien avisé) comment se sera passée sa conversation avec son maître sur cet article. Son Éminence verra donc que jusqu’à présent je n’ai pris d’engagement dans cette cause que pour une grosse abbaye avec le suffragant et à M. Coltz une promesse générale, si l’électeur donne sa voix… Cela ne passera pas 100,000 francs, le tout payable après l’élection faite avec le suffrage de leur maître. On gagnera aussi à bon marché le médecin et un valet de chambre qui lui sert à écrire les choses secrètes… Il résulte de ce détail que le roi n’aura pas grand argent à débourser ici avant l’élection[1]. »
À Cologne, ou du moins à Bonn, où résidait l’archevêque-électeur, c’était une autre comédie avec des incidens différens, mais non moins piquans. Là, il semblait que tout irait de soi, l’électeur étant le propre frère puîné de celui de Bavière et devant donner d’emblée les mains à l’élévation de sa maison. Mais, tout au contraire, Belle-Isle eut le chagrin d’apprendre, en arrivant, qu’au lieu de pouvoir compter sur un concours fraternel, il tombait en plein dans une rivalité domestique. Les deux frères s’étaient querellés dès leur jeunesse pour le partage des diamans de leur mère ; puis, quand le cadet était devenu souverain, l’aîné, oubliant qu’il avait désormais en lui un égal, avait prétendu continuer à le tenir en lisière et lui avait même adressé sur le choix de ses ministres des remontrances peu ménagées. L’autre s’était regimbé, et, depuis lors, il suffisait qu’à Munich on exprimât un vœu pour qu’à Cologne on s’empressât de le contrecarrer. Naturellement le pupille émancipé n’éprouvait qu’un désir assez médiocre de voir élever au rang suprême le tuteur dont il se vantait d’avoir secoué le joug. L’Autriche exploitait habilement cette faiblesse, et son ambassadeur à la diète, le comte Colloredo, qui avait devancé Belle-Isle à Bonn, venait d’en partir, emportant avec lui la reconnaissance de la royauté de Marie-Thérèse, ce qui, de la part d’un cadet de Bavière, équivalait au désaveu des prétentions de sa famille. Il laissait les ministres et tout l’entourage de l’électeur gagnés d’avance à l’Autriche et même enrôlés à sa solde.
Le résident de France, le comte de Sade, était seul pour faire tête à l’orage, mais il s’en tirait avec adresse et sang-froid. C’était, si on en juge par sa correspondance, un homme d’esprit, cachant beaucoup de finesse sous une franchise apparente et possédant ce fond de gaîté intarissable que les gentilshommes français portaient
- ↑ Belle-Isle à Amelot, 19, 22 mars 1741. (Correspondance de l’ambassade d la diète. Ministère des affaires étrangères.)