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bien mieux encore la réalité de la représentation royale, ce fut le tremblement qui saisit le pauvre prince lorsqu’il se trouva face à face avec l’image vivante de son redoutable voisin. La sueur lui dégouttait le long du visage; à peine s’il pouvait trouver ses mots et achever ses phrases.

L’entrevue fut d’autant plus pénible qu’au bout de quelques minutes on put s’apercevoir, et l’électeur fut forcé de convenir, qu’une infirmité contractée à la suite d’une blessure qui n’avait rien de glorieux (c’était un accident de chasse) lui rendait impossible, sous peine de cuisantes souffrances, de rester en société plus d’un quart d’heure de suite. Naturellement le maréchal eut la charité de le mettre à l’aise ; mais cette politesse n’en eut pas moins un effet très gênant, quand le lendemain il s’agit de parler d’affaires. L’entretien ne pouvait manquer de rouler sur l’élection future, et le maréchal se mit en devoir de démontrer à l’archevêque l’intérêt qui commandait à un prince indépendant d’échapper au joug autrichien et l’intérêt plus grand encore, pour un souverain des bords du Rhin, de prévenir le retour de collisions dont ses sujets étaient toujours les premières victimes. Mais toutes les fois que l’argumentation, tendant à sa conclusion, devenait pressante, l’interlocuteur avait une raison qui ne l’était pas moins pour se dérober à la force du raisonnement et à la nécessité d’y répondre. C’était toujours à recommencer.

Belle-Isle ne tarda même pas à s’apercevoir que cet état maladif avait une autre conséquence qui n’était guère moins risible, bien que plus grave; c’était de lui faire trouver sur son chemin des scrupules de conscience qu’il ne s’attendait pas à rencontrer. Il avait emporté de Versailles un crédit ouvert pour faire valoir au besoin, en faveur de ses desseins électoraux, des raisons tangibles qui produisaient habituellement leur effet sur de petits princes toujours dépensiers et toujours besogneux, servis par des ministres qui n’étaient pas toujours incorruptibles. Mais dès qu’il voulut toucher ce point délicat avec un conseiller qu’on lui avait désigné comme particulièrement accessible à ce genre de considérations : «Rien de pareil, du moins en ce moment, dit le prudent serviteur; dans les circonstances actuelles, ce serait tout gâter. L’électeur se sait malade et a toujours la mort devant les yeux : sa conscience dont il parle sans cesse n’est pas un prétexte. Je me bornerai donc à lui dire que vous n’avez pas cru devoir lui faire d’offre ni pour lui ni pour sa famille, bien que vous fussiez autorisé à faire; cela ne peut produire que bon effet, parce que, si les scrupules subsistent, l’électeur saura gré de cette circonspection; et si, au contraire, sa santé se rétablit et qu’il agisse suivant les vues de Sa Majesté, il sera temps alors d’aller plus avant. — J’ai approuvé cette tournure, écrivait