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Verdi ou Karaïskakis, un drame grec joué par des amateurs, on a beau se promener sur le bord de la mer et compter les barques qui sont dans le port, ce sont des distractions médiocres qui ne m’ont point fait pardonner à Patras l’ennui que nous y avons éprouvé. Nous aurions voulu traverser le golfe et aller visiter Missolonghi, qui brillait toute blanche au soleil sur l’autre rive, mais le paquebot pouvait arriver d’un instant à l’autre, et nous ne devions pas nous exposer à le voir partir sans nous. On le signala enfin; le 15 février, nous y prîmes place et, le 17, nous débarquions à Brindisi, après avoir touché à Zante et à Corfou.

Pendant seize mois, nous venions de vivre dans des contrées que l’Occident a souvent qualifiées de barbares : pays égyptiens, pays noirs, pays soumis à la Sublime-Porte, pays parcourus par les Turcomans nomades, pays grecs, nous avions tout traversé sans obstacles, trouvant près de chaque autorité l’aide dont nous avions besoin, respectés par la population, protégés par les fonctionnaires. A quelles facilités empressées ne devions-nous pas nous attendre en mettant le pied sur la terre italienne, qui se dit volontiers la terre de la civilisation par excellence? Nous ne tardâmes pas à le savoir. A peine débarqués et encore dolens des suites d’une traversée exceptionnellement mauvaise, nous entrâmes à la douane pour assister à la visite de nos bagages. Dans la salle où l’on nous enferma, il n’y avait pas que des douaniers; des gens de police nous attendaient, et les portes étaient gardées par des gendarmes. On voulut vérifier l’exactitude de notre signalement sur notre passeport : notre passeport nous avait été délivré au ministère des affaires étrangères et ne notifiait aucun signalement; grave difficulté ; on fit prévenir le préfet, qui arriva, et nous interrogea minutieusement. Nos bagages furent impitoyablement examinés, on retourna les vieilles vestes, on secoua les pantoufles, on confisqua nos pistolets, et l’on se mit en devoir de lire nos papiers, qui étaient volumineux, et auxquels ces bonnes gens ne comprenaient rien. Un plan du pèlerinage de la Mecque, que j’avais relevé à Constantinople dans le Turbé de sultan Soliman, les intriguait beaucoup ; j’avais beau m’évertuer en explications, la colline de Merwa leur paraissait le Vésuve ; ils confabulaient entre eux et n’étaient point rassurés, car l’énorme barbe de Flaubert les troublait. Cela dura plus de deux heures. On nous conduisit enfin à la préfecture où, contre quelques piastres, on nous accorda un permis de séjour de vingt-quatre heures à Brindisi, un permis de nous rendre à Naples, un permis de prendre un vetturino, un permis de prendre la diligence, un permis de prendre des chevaux de poste; chacune de ces paperasses portait notre signalement détaillé, en outre nous avions à expliquer pourquoi nous allions à Naples, où nous devions