pluie devint torrentielle ; la plaine est inondée. Que faire ? Obliquer à gauche et nous rendre à Thèbes? Impossible; les terrains que nous avons à traverser sont transformés en lac ; le plus sage est d’atteindre la route carrossable qui gravit le Cithéron ; là du moins nous serons à l’abri de l’inondation et tôt ou tard nous arriverons à Casa. Cette opinion est celle de notre gendarme, qui rit aux averses, qui rit aux rafales et s’ébroue comme un chien mouillé. Il est suivi d’un terrier écossais qui jappe et saute autour de son cheval. Devant un ruisseau que nos chevaux ont franchi en se trempant jusqu’au poitrail, le petit terrier hésite et gémit; son maître l’appelle; le brave animal se jette à la nage, le torrent l’entraîne, le roule et le rejette mort sur la berge. Le pauvre gendarme détourne la tête, se frotte les yeux et dit : Morto ! morto ! Il ne rit plus.
A la pluie la neige a succédé, une neige fine, aveuglante qui frappe droit sur nous, chassée par le vent du nord; la nuit venait; les nuages semblaient envelopper les arbres et ramper sur la terre ; en face de nous, la montagne toute blanche était coupée presque à sa base par une large nuée. La solitude est complète, nul être vivant n’apparaît. Bientôt l’obscurité nous environna, le reflet du sol nous éclairait encore un peu. Une heure, deux heures se passèrent; la neige s’attachait à nos vêtemens en plaques épaisses que nous faisions tomber d’un coup d’épaule. Nos chevaux hésitaient; nous sentions qu’ils mettaient le pied dans des touffes d’arbustes. tout à coup le gendarme et notre drogman s’arrêtèrent ; nous avons perdu la bonne piste, nous sommes égarés. Sous la neige, la route est méconnaissable. Le gendarme tira quelques coups de pistolet dans l’espoir que la détonation serait entendue et provoquerait un appel. Tout resta silencieux; nos chevaux s’agitaient comme s’ils eussent craint d’être ensevelis sous cette neige qui tombait sans relâche. Pendant plus d’une heure et vainement, nous cherchâmes la route. Nous étions trempés et nous avions froid. La perspective d’une nuit passée dans le Cithéron par un temps pareil n’avait rien de plaisant et cependant nos plaisanteries ne tarissaient pas, nos éclats de rire nous réchauffaient et donnaient du courage à nos hommes. Nous nous décidâmes à tourner bride et à marcher vers la plaine que nous avions traversée le matin ; en plaine du moins, il y avait des villages, et peut-être réussirions-nous cà en découvrir un. Nous allions avec prudence, tenant les chevaux de près pour éviter les chutes, sondant l’horizon des yeux et n’apercevant aucune lumière. Nous commencions à croire que cette lugubre chevauchée durerait toute la nuit, lorsque le gendarme dit : « Écoutez ! » Nous nous arrêtâmes; au loin, au loin, on entendait les aboiemens d’un chien. Alors nous reconnûmes chez notre drogman un talent que nous ne