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même reconnu le titre royal de Marie-Thérèse, il ne pouvait être question d’appuyer ouvertement les prétentions de l’électeur de Bavière sur le patrimoine autrichien : on ne pouvait pas même se prononcer trop clairement pour sa candidature au trône impérial, ce qui eût attesté le parti-pris d’avance de peser sur l’élection et offusqué des prétentions rivales. Encore moins pouvait-on faire tout haut cause commune avec le roi de Prusse, dont les procédés violens alarmaient les esprits timorés. Le seul motif qui pût justifier l’intervention française dans une affaire tout intérieure à l’Allemagne, la seule corde qu’on pût faire vibrer dans des cœurs allemands, c’était l’intérêt d’affranchir, par un choix indépendant, les libertés germaniques de la prépondérance de la maison d’Autriche, et surtout de ne pas laisser tomber cette puissance usurpée dans les mains d’un étranger à peine nationalisé, comme l’époux de Marie-Thérèse. Mais pour donner quelque apparence à cette pensée désintéressée, il fallait se garder de l’appuyer de moyens comminatoires, et surtout de laisser entrevoir même à l’horizon l’apparition d’une armée française sur le sol allemand. Comment donc faire sentir la force sans l’annoncer d’avance, et comment en motiver l’usage quand il deviendrait nécessaire? C’est l’embarras qu’expliquait un peu naïvement le maréchal lui-même dans une lettre au ministère :

« Il y a un point principal qui ne m’occupe pas moins que vous, monsieur, disait-il, c’est de déterminer le motif ou le prétexte que le roi pourra alléguer pour justifier l’entrée de nos armées en Allemagne. Il faudra nécessairement que Sa Majesté s’en soit enquise auprès de l’électeur de Bavière; il faut en avoir plusieurs motifs, et c’est ce que je discuterai avec ce prince, si tant est qu’ils ne soient point alors constatés et agréés déjà par Sa Majesté[1]. »

Heureusement les premiers à qui il avait à parler n’étaient ni les plus difficiles à intimider, ni les moins prêts à comprendre la menace même faite à mots couverts. Sur la route même de Francfort, Belle-Isle devait traverser les trois électorats épiscopaux qui bordaient la rive gauche du Rhin, Trêves, Cologne et Mayence. La situation de ces petites souverainetés était singulière. Elles formaient entre les grands états qu’elles séparaient une lisière de territoire pacifique qu’on appelait par un sobriquet expressif la rue des curés (Pfaffengasse) Leur qualité à moitié ecclésiastique les rattachait naturellement à l’Autriche, représentant attitré de l’union de l’église et de l’empire. Mais leur condition de voisines, presque d’enclaves de la France, les condamnait à servir régulièrement de routes militaires et en quelque sorte de têtes de pont à toutes les marches de

  1. Belle-Isle à Amelot. Mayence 17 avril 1741. (Correspondance de l’ambassade près la diète de Francfort. Ministère des affaires étrangères.)