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de Metz, se rendant en Allemagne, dans un magnifique appareil. Bien que la suite qui l’accompagnait ne fût que son train de voyage et que des préparatifs plus splendides encore fussent déjà faits pour l’entrée solennelle qui devait avoir lieu dans la ville impériale la veille de l’élection, l’éclat et le nombre de ses équipages, la quantité inaccoutumée de secrétaires, de gentilshommes d’ambassade, d’officiers de service, de pages, de coureurs et de gens de livrée qui lui faisaient cortège, tout attestait déjà la pensée de frapper les yeux et les imaginations par un déploiement de puissance qui révélait un grand dessein.

Le maréchal présidait seul à cette véritable armée diplomatique, puisque, par un égard particulier qu’on n’avait même pas eu pour les grands négociateurs de la paix de Westphalie, on ne lui avait adjoint aucun collègue. A la vérité, il avait à ses côtés un auxiliaire plus utile que tous les collègues du monde dans la personne de son frère, le chevalier de Belle-Isle, qui ne le quittait pas. Ceux qui connaissaient les deux frères savaient que, dès l’enfance, ils n’avaient formé qu’une seule âme et se complétaient réciproquement par un heureux mélange de qualités différentes. Le cadet était aussi froid, aussi réservé, aussi attentif à se tenir dans l’ombre que l’aîné, expansif et brillant, se montrait pressé à se mettre en scène. Mais, inspirateur caché des desseins même dont il semblait n’être que l’instrument, le chevalier portait dans leur accomplissement un esprit de suite et de ténacité à laquelle l’ardeur entraînante du maréchal se prêtait plus difficilement. Aussi disait-on familièrement qu’à eux deux ils avaient toute l’étoffe d’un homme d’état accompli dont l’un fournirait le génie qui imagine et l’autre le bon sens qui exécute. En réalité, l’ambition de l’un visait plus haut et se montrait plus à découvert; mais celle de l’autre brûlait d’un feu sombre presque aussi intense et qui aurait éclaté à son heure si elle n’eût été contenue par une subordination absolue au chef de sa race : sentiment très habituel dans les mœurs domestiques de l’ancienne France, et qui faisait du droit de primogéniture moins un privilège en faveur d’une personne qu’une institution sociale et la plus haute consécration de l’esprit de famille.

Ils avaient résolu de visiter avant l’élection (dont la date n’était pas encore fixée) les membres de l’auguste collège, ceux du moins avec lesquels on pouvait espérer s’entendre. Mais quel langage fallait-il leur tenir? C’était le point qui préoccupait les deux frères dans leurs entretiens confidentiels et dont l’intérêt devenait plus grand à mesure qu’ils approchaient de l’Allemagne. Ils avaient peine à déterminer sur quel terrain ils placeraient, pour le premier jour, la négociation qu’ils étaient chargés d’entamer. Le roi de France n’ayant pas désavoué les engagemens de la pragmatique, et ayant