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l’empreinte de la douleur, mais d’une douleur sévère et sans faiblesse. Elle donna d’abord la parole au chancelier, qui exposa en quelques mots l’état désolé de la monarchie. Puis elle se leva et s’exprimant en latin à haute voix :

« Le malheur de notre situation, dit-elle, nous fait un devoir d’entretenir nos fidèles états de l’illustre royaume de Hongrie de l’invasion faite à main armée dans notre province héréditaire d’Autriche, du danger qui menace ce royaume même, et de proposer les moyens d’y porter remède. Il s’agit de l’existence de ce royaume, de celle de notre personne, de nos enfans et de notre couronne. Abandonnés de tous, nous n’avons de recours que la fidélité de ces illustres états et la valeur de tout temps renommée des Hongrois. Nous prions avec instance les divers ordres de ces fidèles états de ne pas perdre un moment pour arrêter et mettre à exécution les mesures rendues nécessaires par cet extrême péril de notre personne, de nos enfans, de ce royaume et de notre couronne. Quant à ce qui dépend de nous, nos fidèles états peuvent compter que notre affection royale prendra soin de tout ce qui peut assurer le maintien de l’antique félicité et de l’honneur de ce royaume[1]. »

A deux reprises, pendant cette brève allocution, en prononçant le nom de ses enfans, la voix de la reine avait faibli. En se rasseyant, elle passa la main sur ses yeux pour cacher ses larmes. Mais quand le primat prit à son tour la parole, pour l’assurer du dévoûment absolu des états, elle releva la tête pour l’écouter avec l’air qui convient, dit un narrateur contemporain, à l’innocence opprimée. L’émotion fut alors générale, mais exprimée par des manifestations moins bruyantes que celles qui avaient pu convenir à un jour de fête : ce fut un concours unanime de voix graves répétant après le prélat cette loyale protestation: Vitam et snnguinem consecramus. Puis les députés se retirèrent pour délibérer immédiatement sur les propositions de la reine.

A peine étaient-ils sortis et encore sur les marches du palais, que la légèreté de cette nation mobile reprenait son cours. Leurs yeux étaient encore mouillés de larmes, que déjà on les entendait rire aux dépens des ministres allemands. Ils s’amusaient de l’air déconfit et effaré qui n’avait pas quitté pendant la séance ces serviteurs dans l’embarras. On prétendait avoir entendu l’un d’entre eux, à

  1. Cette harangue, si différente des paroles mises par Voltaire dans la bouche de Marie-Thérèse, a été reproduite par Coxe d’après le texte latin conservé aux archives de Hongrie. La dernière phrase est ainsi conçue : Quantum ex parte nostra est, quœcumque pro pristina regni hujus felicitate et gentis decore forent, in iis omnibus benignitatem et clementiam nostram regiam fideèles status et ordines regni experturi sunt. — Ces expressions, très difficiles à traduire, avaient évidemment trait d’une façon vague à la question délicate du rétablissement des privilèges contestés.