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contre-cœur par les autres états. Mais du premier mot qu’elle en toucha à ses plus chauds partisans, il lui avait fallu renoncer à cette illusion. C’était déjà bien assez d’empêcher qu’avant le couronnement on soulevât la question de la résurrection des vieux privilèges. De l’établissement d’un pouvoir nouveau, inconnu, créé en faveur d’un étranger, il ne fallait pas même laisser percer la pensée. Le grand-duc, n’ayant pas de place marquée par l’étiquette dans la cérémonie, dut renoncer à y figurer. Tout le long du jour, il se promena inaperçu dans la ville, se plaçant sur la route que devait suivre le cortège à l’entrée des rues transversales afin d’échanger, au passage, un regard avec la princesse. Le soir seulement, il reprit sa place d’honneur au dîner qui suivit la fête, et la gaîté reparut aussitôt sur le visage de sa noble compagne[1].

Ce qui avait paru impossible la veille ne devenait pas plus facile le lendemain. Dès que l’émotion de la brillante journée fut calmée, la discussion s’engagea dans les deux chambres, ou, comme on disait, dans les deux tables de la diète, sur les subsides que demandait la reine et, par suite, sur les concessions qu’en échange on pouvait obtenir d’elle. Il fut évident qu’un parti nombreux, surtout dans la chambre basse, où siégeait la noblesse de second ordre, avait résolu de profiter des malheurs publics pour se faire restituer par la royauté tout ce qui, dans des jours de prospérité, avait été enlevé aux vieilles libertés nationales. Un tableau des franchises à revendiquer fut dressé et adopté, après quelque débat, par la chambre haute, et le nombre en était si grand, la portée telle que la Hongrie, ainsi constituée, fût devenue une nation tout à fait indépendante et presque républicaine. Le pouvoir exécutif remis d’une façon permanente à un chef (le palatin), élu lui-même sur la présentation de la diète, l’administration exclusivement confiée à des fonctionnaires hongrois, tous les bénéfices et les dignités ecclésiastiques réservés au clergé national, une chambre de justice rendant ses sentences sans appel à aucune juridiction supérieure, un système d’impôts et de douane spécial, et les recettes qui en proviendraient employées sur place pour les dépenses locales : cet ensemble de dispositions, et d’autres encore, conçues dans le même esprit, ne laissaient plus au pouvoir central résidant à Vienne qu’une suprématie nominale. Quand la reine prit connaissance de ces réclamations impérieuses, elle en éprouva une douleur mêlée de colère. Ce qui la blessait principalement (elle ne faisait pas difficulté de le dire), c’était moins l’atteinte portée à son autorité que la méfiance qu’on lui témoignait et la violence qu’on prétendait faire à son malheur.

  1. D’Arneth, t. I, p. 277, 279, 403. Ce dernier détail se trouve dans les dépêches de l’ambassadeur de Venise, qui assistait à la cérémonie.