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lointaine l’auguste fugitive. Il fallait, en vérité, un concours de circonstances tout à fait nouveau pour que la fidélité de la Hongrie devînt le suprême espoir et la dernière ressource de la monarchie autrichienne aux abois. Jusqu’à ce jour, au contraire, l’humeur turbulente de ces populations placées aux confins de la civilisation chrétienne, la farouche fierté des grands, l’esprit d’indépendance des moindres gentilshommes, leur attachement à des libertés féodales incompatibles avec les exigences nouvelles des sociétés policées, la variété des races et des cultes divers qui se heurtaient dans leurs assemblées tumultueuses, tout avait contribué à faire du royaume de Saint-Etienne la partie de l’empire la moins soumise, et la plus accessible aux intrigues et aux provocations de l’étranger. Dans toutes les guerres précédentes, le tempérament indocile des Hongrois était un auxiliaire sur lequel avaient compté tous les ennemis de l’Autriche, et cette confiance était d’autant plus souvent justifiée, que là, comme en Pologne, la révolte était un moyen légal, prévu par les constitutions, et dont les sujets avaient le droit de faire usage quand ils croyaient que leurs privilèges étaient méconnus par leur souverain.

Cet étrange droit, inscrit officiellement dans le serment que prêtaient les rois, bien qu’on eût tenté à plusieurs reprises de l’en effacer, venait d’être encore mis largement en usage, pendant les dernières guerres de Louis XIV, par un factieux, moitié chevalier, moitié tribun, François Rakoczy, qui avait établi et fait durer vingt ans à Presbourg une véritable république en pleine rébellion contre Vienne. A la vérité, l’abus avait produit la réaction, et l’autorité impériale, restaurée après cette éclipse, avait définitivement aboli ce singulier privilège avec d’autres moins importans : Charles VI avait même réussi à obtenir par avance de la diète la reconnaissance sans condition de la succession féminine instituée par la pragmatique. Mais la question était de savoir si, en présence d’un pouvoir affaibli, les anciennes prétentions n’allaient pas renaître et si les engagemens pris seraient respectés dans une contrée où jamais femme n’avait régné et où le nom de reine était même inusité dans la langue officielle. L’incertitude était si grande à cet égard que quand il s’était agi de réclamer de la diète de Presbourg son concours pour faire face aux nécessités publiques, tous les conseillers de Marie-Thérèse avaient insisté pour que le secours demandé consistât en argent et non en soldats, parce que, disaient-ils, quand une fois les milices hongroises auraient pris les armes, personne ne pouvait répondre de l’usage qu’elles en feraient[1].

Au premier moment cependant, soit que le dévoûment à la monarchie eut jeté en Hongrie pendant ces dernières années des

  1. D’Arneth, t. I, p. 256 et suiv.