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de ses actes, faisait la véritable originalité de son génie. En soutenant les protestans, il ménageait la conscience et la dignité des catholiques. Avec ceux qu’il secourait de ses deniers ou de ses soldats, il se garda toujours de prendre ce ton de hauteur protectrice, il ne laissa jamais échapper de ses lèvres ces paroles de bienveillance dédaigneuse qui font d’un service une injure. Aussi, lorsque, par la paix de Westphalie, la France avait été placée au premier rang parmi les garantes des libertés germaniques, ce témoignage de gratitude offert avec confiance par ceux qu’elle avait servis fut accepté comme une justice par ceux qu’elle avait combattus.

Mais tout autre avait été l’attitude prise par Louis XIV pendant les cinquante années de son long règne. Sur ce point comme sur tant d’autres, il semble qu’il ait été dans la destinée du fils de Louis XIII de compromettre et de fausser l’héritage que lui avaient laissé les ministres de son père. C’est que Richelieu et Mazarin tendaient au but, tandis que Louis XIV visait à l’effet et tenait à l’éclat autant qu’au profit de la victoire. L’Allemagne, plus que toute autre, avait souffert de cette vanité fastueuse. Durant un demi-siècle, Louis XIV avait fait passer tant de fois le Rhin à ses armées, sans nécessité et sans prétexte, fait payer si cher son alliance à ses amis et sentir si rudement sa puissance à ses adversaires, gravé le souvenir de ses exploits en termes emphatiques sur tant d’arcs de triomphe, qu’à force de froisser l’amour-propre (qui ne dort jamais) il avait fini par réveiller le patriotisme assoupi. Il est des fautes, d’ailleurs, que la Providence châtie en ne permettant pas que l’oubli les couvre. Les soldats de Turenne ne savaient pas à quelle haine éternelle ils vouaient, dans le cœur des Allemands, le nom de leur patrie en l’inscrivant en lettres de sang et de feu sur toutes les collines du Palatinat.

Encore n’eût-ce été que demi-mal si le roi ou ses généraux fussent restés seuls responsables aux yeux de l’Allemagne de ces maladresses insolentes ou de ces violentes exécutions. Mais, grâce à l’habitude qu’a toujours eue le public français de suivre les pires exemples de ceux qui le mènent, la mode de le prendre de haut et sur un ton railleur avec tout ce qui venait de nos voisins du Nord s’était répandue promptement comme un air de cour, à Paris aussi bien qu’à Versailles : seigneurs, bourgeois et lettrés, chacun voulait avoir sa part de ce divertissement charitable. Quand un prince ou son envoyé allemand faisait son entrée à l’Œil-de-Bœuf, c’était parmi les petits-maîtres à qui irait le lendemain amuser les belles dames dans les ruelles de bonne compagnie aux dépens de son costume burlesque, de ses manières empesées, de la profondeur de ses révérences et de la lourdeur de son accent. Les gentilshommes qui avaient guerroyé en Allemagne étaient intarissables en anecdotes