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peut s’attendre que le roi entre avec le même degré de vivacité et de vigueur dans une guerre qui serait sans espérance et ruineuse. Vous étendrez, vous justifierez tous ces points, vous y donnerez la plus grande énergie… Si la reine cède à vos conseils, vous vous rendrez vous-même au camp du roi de Prusse, vous tâcherez d’applaudir à sa vanité, par la gloire d’être le conservateur (plutôt que le destructeur) de la maison d’Autriche, des libertés de l’Europe et de la religion protestante[1]. »

En exécution de ces instructions, Robinson se présenta devant la reine et lui parla avec une énergie que l’émotion rendait presque éloquente. Ce fut en père affligé et presque les larmes aux yeux qu’il la conjura de se soustraire aux dangers dont elle était entourée. Elle l’écouta jusqu’au bout en silence, tous ses conseillers baissant la tête sans rien dire ; puis elle éclata avec un transport de passion. En lui demandant de se séparer de ses fidèles sujets de Silésie, s’écria-t-elle avec véhémence, ce n’était pas à sa politique, c’était à sa conscience qu’on faisait violence. La Silésie était la clé de ses états ; quand la partie basse serait cédée, on lui demanderait la province tout entière ; et l’entrée de la Bohême comme de la Moravie serait alors sans défense. Les dangers qu’on lui représentait étaient certains, mais était-elle donc seule à les courir ? Ne menaçaient-ils pas l’Angleterre aussi bien que l’Autriche ? Et comme le ministre anglais faisait observer que la situation n’était pas la même : « Ah ! oui, dit-elle, je sais, il y a ce maudit marais (that cursed ditch) qui vous sépare du continent. Plût à Dieu qu’il n’existât pas, que vous fussiez comme nous et que le roi votre maître eût tous ses états dans le cœur de l’Allemagne ! On verrait s’il serait si pressé d’en céder la meilleure partie, celle qui défend tout le reste. Et pourquoi est-ce moi seule qui dois faire tous les sacrifices ? Pourquoi le roi d’Angleterre ne s’adresse-t-il pas aussi à tous les princes de l’empire menacés comme moi ? Pourquoi ne parle-t-il pas à l’électeur de Bavière, dont les prétentions seraient peut-être moins hautes et à coup sûr mieux fondées que celles du roi de Prusse ? Pourquoi surtout ne met-il ses troupes en campagne ? Ah ! si seulement le roi voulait faire avancer ses troupes ! »

Le débat dura plusieurs jours. La reine, avec l’imagination intempérante du désespoir, inventait sans relâche des combinaisons nouvelles pour échapper à celle qui blessait sa fierté au point le plus sensible. Elle voulait séduire l’électeur de Saxe en lui promettant la Lusace, fief de la couronne de Bohême que Frédéric avait perdu,

  1. Lord Harrington à Robinson, 21 juin 1741. — Dépêche interceptée par M. de Bussy, ministre à Londres. (Correspondance d’Angleterre. — Ministère des affaires étrangères.)