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regardant de près, un observateur attentif en aurait pu découvrir encore un au moins latent et en germe, mais qui ne devait pas tarder à se développer. Seulement, il n’était pas de telle nature (il s’en faut bien) qu’un agent français put y faire appel. Car c’était le sentiment même que Frédéric démêlait avec la perspicacité de la haine et du génie, quand il disait au marquis de Valori : « Prenez garde, la seule chose qui fasse tort à votre ami, l’électeur de Bavière, dans l’esprit de tous les princes d’Allemagne, ce sont ses liaisons avec vous. » Frédéric voyait juste: il n’y avait qu’une disposition d’âme qu’on rencontrât à un égal degré chez tous les Allemands, sans distinction de petits ou de grands états, de protestans ou de catholiques, et qui fît taire à certains jours leurs dissentimens particuliers: c’était une sourde et jalouse irritation contre la France. Dès lors, il n’était pas impossible de prévoir que cette impatience contre la grande puissance d’outre-Rhin, habilement exploitée, pourrait les réunir tous tôt ou tard dans un effort commun. Pour pousser la franchise jusqu’au bout, il faut confesser ce que dira l’histoire, c’est que cette humeur de mauvais voisinage était en partie du moins justifiée.

Rien n’est plus injuste, assurément, que de prétendre, comme le font la plupart des historiens allemands de nos jours, que les faiblesses intérieures de l’empire étaient dues à l’action préméditée et machiavélique de la politique française semant partout sur son passage la division et le désordre ; mais il n’est qu’exact de reconnaître que la France avait profité des conflits intestins de l’Allemagne, d’abord sagement et avec mesure, puis avec une présomption imprudente. Et, à cet égard, il convient de distinguer deux phases dans lesquelles la conduite des cabinets français fut animée de deux esprits bien différens. Engagés comme ils l’étaient par le souci de leur propre indépendance dans une lutte nécessaire contre l’ambition autrichienne, les souverains de France étaient par là même dans le droit de la guerre en suscitant à leur ennemi héréditaire des hostilités et des embarras jusqu’aux portes mêmes de Vienne. Aussi l’alliance de François Ier avec les princes ligués contre Charles-Quint, le secours prêté au siècle suivant par Richelieu aux protestans contre les armées de Wallenstein et de Tilly n’étaient-ils que des actes de défense légitime ; tout aussi légitimes étaient les précautions prises par les négociateurs de Munster et d’Osnabruck pour ne pas laisser constituer une force prépondérante sur une frontière aussi mal défendue par la nature que celle qui borne la France du côté du nord et de l’est. Mais en poursuivant ainsi jusqu’au-delà du Rhin la juste protection des intérêts français, Richelieu lui-même avait toujours su conserver à son intervention dans les affaires allemandes ce caractère de modération qui, combinée avec l’énergie