Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 49.djvu/248

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Sous ce rapport, s’il était inquiet, il dut être promptement rassuré. « L’arrivée de M. de Belle-Isle est un triomphe, » écrit d’Argenson. Il trouvait en effet son crédit intact et la confiance inspirée par son nom plus grande que jamais. Son amie, Mme de Vintimille, prête à mettre au jour l’enfant qui devait lui coûter la vie, était au comble de la faveur. Le bruit déjà répandu de la convention prussienne faisait d’autant plus d’honneur à son négociateur que les difficultés avaient transpiré et qu’on les imputait généralement aux hésitations du cardinal, dont Belle-Isle seul, disait-on, avait pu triompher. Parmi ceux (le nombre en était grand) qui escomptaient la mort toujours attendue et toujours retardée du vieillard, c’était à qui se ménagerait l’appui d’un prétendant tout désigné pour l’héritage du pouvoir suprême, et le cardinal lui-même ne pouvait témoigner trop d’égards à celui qui, au lieu d’aspirer à le remplacer, se contentait de le servir.

Aussi toutes les portes lui furent ouvertes et on n’eut d’oreilles que pour lui. Arrivé le 11, il écrivait le 12 à son frère, qu’il avait laissé à Francfort : « J’ai eu hier neuf heures continues de conférence dont j’ai au moins parlé sept, en sorte que je suis un peu enroué aujourd’hui. Il y aura pourtant ce soir un conseil où je ne raccommoderai pas ma poitrine. » — Et le lendemain : « Son Éminence m’a mené seul chez le roi, qui me fit asseoir devant lui au même bureau où il tient le conseil, et j’y fus une heure et demie en présence du cardinal; je lui fis le rapport de tout ce qui s’était passé à nos séances, et le résumé du plan auquel il ne manquait plus que l’approbation de Sa Majesté. Tout se passa du roi à moi. M. le cardinal ne parla presque point, et ce ne fut que pour chanter nos louanges; le roi me combla de bontés[1]. »

Le plan que Belle-Isle soumettait à l’approbation du roi et que le cardinal écoutait avec cette adhésion silencieuse et mélancolique était bien combiné. Conformément aux stipulations du traité, une armée française, forte de 40,000 hommes, devait passer le Rhin sans délai pour se joindre aux troupes bavaroises, et tendre, à travers l’Allemagne, au cœur même des possessions autrichiennes : mais de plus (et ceci était l’idée propre à Belle-Isle lui-même) un autre corps d’armée de 30,000 hommes devait traverser les Pays-Bas autrichiens et l’évêché de Liège, et prendre position de manière à marcher sur le Hanovre si le roi d’Angleterre, se rendant enfin aux demandes de Marie-Thérèse, se décidait à venir en aide à l’Autriche. Cette

  1. Le maréchal au chevalier de Belle-Isle, Versailles, 12-14 juillet 1741. (Correspondances diverses. — Ministère de la guerre.) Les archives de ce ministère renferment deux séries de correspondances relatives à cette époque, l’une purement militaire et toute officielle, l’autre traitant d’affaires diverses et principalement diplomatiques, qu’on dit être composée des papiers particuliers du maréchal de Belle-Isle, laissés par lui au département à la tête duquel il était placé quand il mourut.