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un peu embarrassés du leur position singulière entre le pape et l’Allemagne.

Est-ce à dire que M. de Bismarck se soit réellement constitué le protecteur du saint-siège, qu’il ait fait entrer dans ses projets un rétablissement, même partiel, de la souveraineté temporelle du chef de l’église catholique ? Ce serait probablement aller trop loin et voir dans la diplomatie du puissant chancelier plus qu’il n’a voulu y mettre ; mais ce qui est suffisamment apparent, c’est que M. de Bismarck, poursuivant en cela un dessein profondément médité, tient à faire sa paix avec le saint-siège, et cette paix une fois faite, il est clair que la situation internationale du souverain pontife s’en trouverait singulièrement fortifiée. Un ambassadeur d’Allemagne auprès du Vatican serait une garantie qui aurait certainement sa valeur. En allant fixement à son but comme il paraît le faire, M. de Bismarck n’agit pas par un sentiment d’hostilité contre les Italiens. Ce qu’il poursuit, il le fait dans l’intérêt de sa politique intérieure, toute monarchique et conservatrice, pour laquelle il veut s’assurer des appuis dans le parlement, et il le fait aussi dans l’intérêt de son alliance avec l’Autriche. Évidemment, entre Vienne et Berlin, les intentions à l’égard de Rome sont aujourd’hui les mêmes ; elles sont toutes favorables, et, selon toute apparence, les Italiens n’auraient pour l’instant quelque chance de pénétrer dans l’alliance austro-allemande qu’en modifiant leur politique religieuse. De tout cela résultera-t-il un jour ou l’autre quelque négociation européenne au sujet de la situation du souverain pontife ? Ce n’est point impossible ; pour le moment cependant, on ne distingue rien de semblable. Ce qu’il y a de certain, c’est que si M. de Bismarck paraît fort occupé de ses affaires intérieures, il ne laisse pas sa diplomatie sommeiller, et ses négociations avec Rome ne sont pas l’unique objet de son activité. L’autre jour, un ambassadeur extraordinaire du sultan recevait à Berlin un accueil exceptionnel, et, d’un autre côté, l’influence allemande règne à Constantinople. Tout ce qui est allemand est en singulière faveur auprès du sultan. Ainsi, au même instant, M. de Bismarck noue savamment tous ses fils diplomatiques. Il fait sa paix religieuse avec Rome sans s’inquiéter de ce qu’en diront les Italiens ; il a une alliance intime à Vienne ; il a la prépondérance à Constantinople. Il a partout, en Orient et en Occident, ses moyens d’action assurés, organisés. Tout ce qu’on peut désirer, c’est que cette immense puissance s’emploie à maintenir et à prolonger la paix de l’Europe.


CH. DE MAZADE.