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une paix sociale que les négociateurs du Munster et d’Osnabruck avaient eu le bonheur d’établir entre l’église et ses adversaires, ce fut un pariage de territoire dont ils déterminèrent les limites. Quoi d’étonnant que les conséquences des deux opérations eussent été aussi différentes que leur nature?

Le principe même qu’avait posé la paix de Westphalie et qui prévalait encore au XVIIIe siècle, la maxime ainsi formulée par les publicistes : Cujus regio, ejus religio, — était de nature à perpétuer les divisions, au lieu de les éteindre. Cette règle de matérialisme politique, en faisant de la possession du territoire la condition de la liberté religieuse, plaçait les prétentions du plus petit prince sous la protection de la conscience et mettait l’anarchie sous la garde du fanatisme. Le moindre souverain pouvait se regarder lui-même comme un champion de la Bible ou de l’église, tenir son chétif état comme une terre sainte qu’il était chargé de défendre, et faire prendre ainsi à ses plus sottes prérogatives le caractère d’une inviolabilité sacrée. En défendant la vétusté d’un privilège ou la frivolité d’une étiquette, il prétendait combattre encore pour l’honneur et pour l’intégrité de sa foi. Tout le vieil héritage de la féodalité passait ainsi sous le couvert du principe nouveau de la liberté de conscience.

Chose singulière et pourtant explicable, l’empereur étant toujours catholique, c’était chez les protestans surtout qu’une méfiance naturelle et facile à justifier organisait la résistance la plus obstinée contre l’exercice le plus légitime de l’autorité centrale. Tout était bon aux nouveaux chrétiens pour lutter dans l’empire contre l’empereur, même les privilèges qui semblaient le plus inséparables de la foi qu’ils avaient désertée. Le roi de Prusse n’eut pas souffert qu’on le privât d’un seul des droits du grand maître de l’ordre teutonique. On voyait couramment des abbés, des évêques protestans, occuper avec femmes et enfans les abbayes, les commanderies, les menses épiscopales, toucher les revenus, exercer les juridictions pieusement attribuées jadis au clergé catholique par la dévotion de leurs ancêtres. Voyez donc comment le jeu complexe des passions humaines dérange les lignes idéales que se plaît présomptueusement à tracer la philosophie de l’histoire. La réforme, dont le souffle orageux a balayé partout ailleurs les traditions du moyen âge, en Allemagne avait conservé, figé pour ainsi dire dans une immobilité rigide les plus surannées des institutions du passé.

Telle était la machine à la fois détraquée et compliquée que Belle-Isle avait pour tâche de faire sortir de l’ornière afin de lui imprimer une direction et un mouvement nouveaux. N’y avait-il donc plus dans cette vaste région de l’Europe aucun sentiment commun à la masse d’hommes qui la couvrait, aucun qui put faire battre un jour tous les cœurs d’une émotion patriotique? Hélas ! en y