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compétitions ardentes. On aurait bien gagné et la république serait bien servie, si, dans tous les postes compromettans où il y a des intérêts français à défendre nos représentans en étaient chaque matin à craindre d’être dénoncés dans un journal de Paris et d’avoir à intenter, avec le même succès que M. Roustan, des procès en diffamation devant le jury de la Seine !

Veut-on voir à l’œuvre sous une autre forme cet esprit de désorganisation ? C’est cet autre incident du jour, c’est cette candidature sénatoriale improvisée à Paris en faveur d’un officier supérieur de l’armée, M. le commandant Labordère. M. le commandant Labordère sera élu ou ne sera pas élu sénateur de Paris, ce n’est pas là le point le plus important. Ce qui est bien autrement grave, quel que soit le résultat du scrutin du 8 janvier, c’est la signification de cette candidature. Pourquoi a-t-on choisi M. Labordère? Ce n’est point, à coup sûr, pour le jugement et le tact dont il a fait preuve dans les lettres qu’il vient d’écrire. Ce n’est pas non plus pour son aptitude parlementaire, il convient lui-même, avec une certaine affectation de modestie, « qu’il lui manque bien des choses pour être à la hauteur du mandat que les électeurs sénatoriaux songent à lui confier. » Il avoue qu’il entrerait dans un monde où bien des choses lui seraient étrangères et qu’il ne peut promettre aux Parisiens « un mandataire digne de voir son nom uni à ceux de Victor Hugo et de Barodet. « De sorte que M. Labordère, qui met sans façon sur la même ligne M. Victor Hugo et M. Barodet, paraît pour le moins aussi novice dans l’art d’apprécier les hommes qu’il est incompétent en politique, comme il le déclare lui-même. Cela ne l’empêche pas, il est vrai, de défiler tout aussitôt un chapelet de réformes ultra-révolutionnaires, depuis la suppression du sénat jusqu’à la séparation de l’église et de l’état, de se proclamer radical, socialiste « ami des misérables. » Ce qui est parfaitement sensible après cela, c’est que la confusion règne dans cet esprit mal équilibré. Ce n’est point évidemment pour son programme et pour es lettres que le chef de bataillon socialiste a été élevé à la dignité de prétendant au sénat par les radicaux de Paris. Pourquoi donc l’a-t-on choisi? Ah ! c’est là le secret. M. Labordère est un officier qui, au mois de décembre 1877, refusait l’obéissance à ses chefs dans un service commandé, sous prétexte qu’on voulait « l’associer à un crime, » et son élection au sénat serait ni plus ni moins aujourd’hui une leçon donnée au gouvernement, comme l’élection de M. Barodet a été autrefois une leçon donnée à M. Thiers; ce serait une protestation contre la nomination de M. le général de Miribel au poste de chef d’état-major de l’armée qu’il occupait déjà en 1877. Ceci commence à devenir clair.

Ainsi, voilà un officier de l’armée improvisé candidat sénatorial par quelques intransigeans à l’imagination troublée et acceptant sans plus