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plus difficiles, dans la position la plus ingrate, notre ministre à Tunis, M. Roustan, s’est vu tout à coup l’objet de toute sorte de diffamations répandues contre lui en France même. N’aurait-il pas mieux valu laisser tomber ces indignes imaginations? C’était vraisemblablement ce qu’il y avait de plus sage. Le dernier ministère n’en avait pas jugé ainsi, et c’est sous son inspiration ou par son ordre que notre ministre à Tunis s’est décidé à demander justice contre les diffamateurs.

Qu’est-il arrivé cependant? Trois jours durant, devant un jury, au milieu d’une affluence de curieux attirée par l’espoir du scandale, on a fouillé dans les replis les plus secrets de la vie d’un homme. On a fait appel à toutes les indiscrétions, à toutes les divulgations, sans découvrir rien de sérieux contre cet homme qui demandait justice et qui s’est vu transformé en accusé. On n’a rien découvert, et en fin de compte pourtant, après que toutes les accusations et tous les commérages ont pu se produire, c’est la diffamation qui a été innocentée : le diffamé en a été pour ses frais ! Le jury a probablement voulu donner une leçon au pouvoir ; il a cru spirituel de se donner l’air de frapper dans l’agent obéissant ceux qui ont commandé l’expédition de Tunis. Le gouvernement, il est vrai, n’a pas voulu se tenir pour battu par un jugement fait pour réjouir tous les ennemis de notre influence en Orient, et M. le président du conseil s’est décidé à maintenir M. Roustan dans son poste de représentant de la France à Tunis. Fort bien ! mais enfin ce sont des républicains qui ont engagé cette guerre de dénigrement contre un fonctionnaire, et l’absolution des diffamateurs ne reste pas moins comme un encouragement pour ceux qui voudront recommencer. Acquittement ou condamnation d’ailleurs, ce n’est pas même la vraie question, il y a une autre moralité dans une affaire de ce genre. Voilà un homme qui pendant vingt-cinq ans aura servi le pays fidèlement dans des postes lointains et souvent pénibles, qui aura eu plus d’une fois à déployer toute son énergie, à engager sa responsabilité pour la défense désintérêts nationaux. Naturellement il est obligé d’user au besoin des moyens qu’il a sous la main ; de l’aveu de tous cependant il est resté honnête, sans fortune, uniquement occupé de son devoir d’agent de la France, — et un jour vient où, sur la foi d’on ne sait quelles dénonciations obscures ou intéressées, il est exposé à être offert en spectacle devant un prétoire, à voir son nom traîné dans toutes les polémiques, ses plus simples actions dénaturées par l’esprit de parti. Est-ce par cette manière de payer le dévoûment qu’on se figure recruter pour les plus difficiles services du pays des fonctionnaires intelligens, actifs et utiles? S’il devait en être ainsi, la première pensée des agens employés au loin serait bientôt de ne jamais se compromettre, de ne point engager leur responsabilité pour les intérêts nationaux, d’éviter enfin les affaires le plus possible, au risque de laisser décliner l’influence française au milieu de toutes les