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un même chef, et que les acteurs de l’une, selon les besoins du service, aillent, du jour au lendemain, aider les acteurs de l’autre; que le partage du répertoire et même des pièces nouvelles se fasse quotidiennement selon les convenances de l’art, et non, bien entendu, selon l’intérêt financier des sociétaires, — de façon que l’Odéon ne serve pas seulement à doubler la recette de la Comédie-Française, mais à former pour lui-même et pour elle, avec un bénéfice honnête, des interprètes capables d’honorer nos classiques et de soutenir nos jeunes auteurs.

Alors la mémoire de Racine se consolera d’une représentation comme celle de Phèdre; M. Abraham Dreyfus pourra écrire une pièce gaie sans crainte qu’elle soit attristée comme l’Institution Sainte-Catherine; M. Bisson, l’auteur du Voyage d’agrément, fera de son Lycée de jeunes filles une comédie, et non plus, comme pour Cluny, un vaudeville-opérette; la reprise d’un chef-d’œuvre du répertoire ancien ou moderne, sans être un événement rare, intéressera les Parisiens autant que la « première » du Saïs, de Casse-Muscau, de la Grande Revue ou de Tant mieux pour elle ; l’âge d’or sera revenu pour la littérature dramatique et l’âge d’argent pour l’Odéon !

L’expérience, au moins, vaut bien qu’on la tente, et surtout les patiens ne valent pas qu’on ne la tente point. Mettez qu’après trois ans on reconnaisse qu’elle a manqué : ni le répertoire ni les auteurs nouveaux n’auront pàti plus qu’ils ne pâlissent à présent à la Comédie-Française, et l’Odéon ne sera pas plus mort qu’il n’est aujourd’hui. L’épreuve est possible, puisqu’on l’a déjà faite en 1838, sous l’administration de M. Vedel. Mais la Comédie-Française, en ce temps-là, ne gagnait pas assez d’argent: aujourd’hui, elle en gagne trop. M. Perrin, toujours et partout, fut un directeur heureux : ces bonheurs-là ne vont pas sans des raisons qui les justifient et, partant, ne sont pas précaires. En 18ù8, M. Perrin rétablit, comme par enchantement, la prospérité de l’Opéra-Comique; je ne donnerais pas trois mois pour qu’d restaurât à présent la fortune de l’Odéon, où M. de La Rounat, d’ailleurs, pourrait demeurer comme son lieutenant. M. Perrin déclinera peut-être cet accroissement de pouvoir : il faudra lui forcer la main. C’est l’affaire de M. le ministre des arts, comme de régler les détails du projet appartient à ses commis. Le tout ne se fera, cela va sans dire, qu’avec l’agrément de la Société des auteurs. Mais puisque le nouveau ministre a dû se munir d’un ministère et que ses employés, à l’heure qu’il est, doivent être en quête de besogne, j’imagine leur être agréable en leur proposant celle-là.


LOUIS GANDERAX.