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acte, son exposition paraît incertaine et tout éparse; il noue au second une intrigue vieillotte, qui se complique et se précipite, vers la fin du troisième, par un incident d’une violence tout à fait inattendue. Pour réussir dans ce genre avec des qualités solides qui n’y sont qu’un embarras, il lui fallait au moins la rouerie exercée, la sûreté, le tour de main d’un Sardou. Quoi de surprenant s’il n’a pas ouvré comme elle méritait de l’être l’étoffe qu’il avait su choisir, ou, pour mieux dire, lisser? Ainsi sa comédie ne nous a pas donné l’impression nette de plaisir que nous devions en attendre, et si nous venons ici nous en plaindre publiquement, c’est que, pour nous satisfaire, à la première rencontre, il n’aura qu’à prendre plus de confiance dans sa force.

Mais j’exagère à dessein la faute de M. Dreyfus, pour qu’il s’en repente et la répare, le plus tôt possible, avec usure. Je ne jurerais pas qu’au demeurant, si sa pièce n’a pas obtenu tout le succès qu’elle devait avoir, le tort n’en soit pas imputable aux comédiens et au théâtre plutôt qu’à l’auteur. Il en est plusieurs, parmi ces comédiens, dont chacun, pris à part, est au-dessus du médiocre; et ceux-là même ensemble, j’ose le dire, sont exécrables. M. Pradeau a du talent, et M. Amaury, et Brémont, et Mme Crosnier et Mme Raucourt, et Mme Grivot même, si peu agréable qu’elle soit, et Mlle Sisos, et Mlle Malvau... J’y consens. Mais tous ces gens dont chacun peut-être entend son rôle, n’entendent rien, mais rien, ce qui s’appelle rien, à la pièce. Celui-ci laisse tomber le mot d’esprit que lui lance la raquette de celui-là ; et le moment d’après, c’est celui-là qui, sans le vouloir assurément, se venge de ce mauvais tour. La pièce n’est pas jouée dans le mouvement qu’il faudrait, mais dans plusieurs à la fois, et dont aucun ne convient, par des artistes qui ne se doutent pas qu’ils ne sont jamais d’accord. Tous n’ont guère qu’un trait commun : c’est qu’ils manquent de gaîté; dans une pièce gaie pour les trois quarts, l’inconvénient n’est pas mince. On me dira que, s’ils n’ont pas d’autre lien entre eux que cette commune tristesse, apparemment c’est que la troupe est de formation récente et qu’il faut laisser à ses élémens divers le loisir de se fondre. Mais cette troupe de la Gaîté qui joue Quatre-vingt-treize est de formation plus récente et d’élémens plus divers encore ; elle ne compte pas que des artistes de la valeur de Mme Marie Laurent, de MM. Taillade, Dumaine et Paulin Ménier : elle joue cependant avec ensemble et dans le mouvement qui sied au genre. La troupe de drame de la Gaîté, ce théâtre hasardeux, à peine rouvert depuis la fin de l’été, est supérieure, je vous jure, à la troupe de comédie de l’Odéon, et mieux eût valu, selon moi, pour M. Abraham Dreyfus, s’exposer une fois de plus aux manquemens de parole des directeurs du Palais-Royal que de se livrer aux comédiens du second Théâtre-Français.

Le remède à ce pitoyable état de choses? Nous le trouverons peut-être si nous passons du second Théâtre-Français au premier. Non que